que se passe-t-il lorsqu'on perd l'odorat ?

Nos souvenirs, nos émotions et notre quotidien s'étiolent et s'effacent, irrémédiablement. 

L’odorat est bien plus qu’un sens, croyez-moi. L’odorat dicte et définit bien des choses – votre appétit, votre relation au monde extérieur, aux gens, et à vous-même. La commotion cérébrale que j’ai vécue me l’a dérobé – un an durant. Mon cerveau, embué et malmené, s'est trouvé incapable de communiquer quoique ce soit à mes narines. C’était terrifiant. Le temps, la convalescence, la rééducation et la patience m’ont sauvé et j'ai ré-appris à ressentir le monde. Forcément différemment. Voilà ce que j’ai retenu de ces 365 jours sans odorat : 

1

Personne ne vous dira jamais que votre odeur dérange 

Lorsqu’on perd le sens de l’odorat, une angoisse quotidienne, persistante et intarissable s’empare soudain de nous : sent-on mauvais ? Croyez-moi, vous n’y trouverez aucune réponse car personne ne vous l’avouera jamais. Ce n’est pas parce que vous perdez l’odorat que l’autre perd la notion de bienséance.

2

La nourriture sans odeur a le gout du sel et du sucre

La seule lueur d’espoir qui m’a parcouru, lorsque mon anosmie s’est déclarée, tenait au fait que je serais devenue mince. La vie sans saveurs ni parfum aurait dû m’enjoindre à ingurgiter des brocolis (je détestais ça, avant). En réalité, la perte d’odorat m’a rendue hystérique. Je ne pouvais sentir, au contact de ma langue, que le sucre, le sel, l’amertume et l’acidité. Ce qui m’a conduit, de fait, à engloutir avec toujours plus d’ardeur, des bols entiers de chips et des tablettes de chocolat.

3

Les aéroports vous rendront très nostalgique

J’avais quatre heures à tuer à l’aéroport de Dubaï. J’ai donc parcouru ses allées commerçantes à la recherche de mon ancien parfum – celui que je portais à l’université, Je m’en suis aspergée avec une hargne phénoménale et là, rien. Absolument rien. Je ne sentais rien. Les portes de mon passé se sont violemment fermées devant moi. C’est une sensation que je ne souhaite à personne.

4

Le riz brûle plus facilement qu'on ne le croit

Comme n’importe quel aliment, en fait. J’ai dû acheter trois nouvelles casseroles – noircies par du riz, des patates, des oignons et des haricots vite cramés. Parce que non, vous ne pourrez plus sentir l’odeur du brûlé. Il m’est arrivé plus d’une fois de m’étendre dans mon canapé, plongée dans un livre, avant que la fumée ne vienne me picoter les yeux et n'envahisse la pièce, puis l’appartement et celui de mes voisins du dessus. 

5

L’odeur de votre mère viendra à vous manquer

La première fois que j’ai embrassé ma mère, en rentrant de mon voyage, mon cœur s’est serré très fort. Entre ses bras, ses cheveux dans mes yeux et sa poitrine contre la mienne, je ne la reconnaissais plus. Elle aurait pu être n’importe qui. Une inconnue dans mes bras. Cette femme que j’étreignais avec tant d’amour ne m’était plus familière, elle avait perdu son aura, son odeur, son parfum de toujours.

6

L’odorat est un sens inhérent au langage de tous les jours

Ça sent le roussi, à vue de nez, flairer le danger... Évidemment, ces expressions ne vous toucheront plus. Pire, elles vous passeront au travers, pleinement vidées de leur sens. Pour autant, la personne en face de vous qui aura eu la brillante idée d’en prononcer une à vos côtés ne pourra s’empêcher de devenir écarlate, de se fondre en excuses, avant de vous prendre la main et d'éclater en sanglots comme si le monde s’était écroulé à vos pieds. C'est une réaction touchante. Du moins la première fois. 

7

Les souvenirs sans odeur ressemblent à des pages blanches

La plupart des événements qui ont marqué mes deux années vécues sans odorat ont du mal à me revenir en tête. Les montagnes que j’ai gravies, les longueurs nagées en pleine mer, les lits dans lesquels j’ai dormi profondément, ces choses que j’ai accomplies ont la substance du néant lorsque je me les remémore. Comme si je ne les avais pas vécues mais rêvées.

8

Lorsque vous pourrez re-sentir un jour les choses, votre coeur vous sautera à la gorge

J’ai éclaté en sanglots lorsqu’un soir, j’ai senti l’odeur de l’ail picoter mes narines. J’ai ressenti la même émotion en croquant dans une pomme, en humant le parfum des cheveux de ceux que j’embrassais. J’ai ré-appris à aimer et ressentir le monde. 

9

Le gingembre a le goût de la terre

Le souci lorsqu’il faut se reconstituer un semblant de palette olfactive, c’est que tout a le même goût étrange. C’est un peu la même sensation lorsqu’on retrouve, par hasard au détour d’une rue, notre amoureux de l’école primaire et qu'on remarque avec effroi qu’il porte désormais une gourmette et d'affreux cols roulés. Le gingembre a le goût de terre, les hommes sentent l’oignon, le pamplemousse, les pièces de monnaie rouillées. Croyez-le ou non, mais le parfum des roses est ainsi semblable à celui du caramel brûlé. 

10

On oublierait presque son odeur

Une nuit d’été comme une autre, six mois après avoir retrouvé mon odorat, j’ai enfoui mon nez dans le creux de mon bras et pris une grande et profonde inspiration. Cette odeur, aussi infime et insaisissable, étrangère et familière soit-elle, m’a rattrapé comme un vieux souvenir d’enfance. C’était mon odeur à moi, disparue, évaporée de ma mémoire plus d’une année durant. Elle m'avait manqué. 

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