Petra Börner a fait le choix d'être artiste quand son déterminisme social la destinait plutôt à une carrière de médecin – son père, sa mère, son frère et son grand-père sont docteurs. De l'univers familial et médical, Petra n'a gardé que le scalpel, un outil aujourd'hui essentiel à sa création artistique : ses collages. Repris dans un premier temps par la presse scientifique et spécialisée dans la médecine, ses illustrations singulières et expressives ont vite tapé dans l'oeil de plusieurs grandes institutions – Louis Vuitton, les V&A, les Oscars – et des magazines – Vogue et Elle notamment. Ses coups de scalpel et sa vision singulière du monde se distille dans ses collages, fruits de longues heures passées à observer le monde et les maîtres d'hier. Ses aptitudes et sa formation l'ont conduite à expérimenter le design textile, la broderie et la céramique. Les sculptures qui en résultent engagent autant le corps que l'esprit : la patience, la précision, l'observation minutieuse, le toucher et l'odeur la guident désormais dans toutes ses créations en 3 dimensions. Du haut de son petit atelier de Kensal Road, Petra nous confie les émotions qui la parcourent lorsqu'elle se met au travail.
Petra, comment es-tu arrivée jusqu’à Londres et qu’est-ce qui t’a poussé à devenir artiste ?
J’ai toujours été fascinée par l’art et j’ai commencé très tôt à dessiner parce que je n’étais pas très douée à l’école, parallèlement. Je me suis installée à Londres pour intégrer la Central St Martins et étudier le design textile. Je me disais que je me ferais des sous dans la mode. L’école m’a donné la possibilité de dessiner tous les jours et de travailler pour des magazines alors que j’étais encore étudiante. Mon diplôme en poche, j’ai monté un label en me confrontant à de nombreuses problématiques loin de mon quotidien et de mon champ d’expertise. Je me suis concentrée sur l’illustration, la presse mais je n’arrivais pas à trouver le temps nécessaire à la réalisation de mes ambitions. Quand on a choisi d’arrêter, avec mes partenaires, j’étais plutôt soulagée. J’ai très vite trouvé mes marques et du travail en m’apercevant que je pouvais gagner ma vie tout en faisant ce que j’aime. Penguin m’a demandé de réaliser une série de couvertures de livres et puis j’ai travaillé pour Cacharel. Mes illustrations ont finalement trouvées preneurs et le fait de travailler à mon compte m’a procuré une sensation de libération incroyable.
Ta famille travaille essentiellement dans le domaine médical. Le monde de la science t’inspire-t-il dans ta création ?
Petite, je suis tombée sur des scalpels que mes parents avaient à la maison. Ma mère m’emmenait souvent à l’hôpital où elle travaillait et je me souviens d’arpenter les longs couloirs froids et de faire des milliers de photocopies, d’entrer dans les salles d’opération par mégarde et de tomber sur des instruments étranges. Le scalpel, en tant qu’objet de fascination, a toujours été présent dans ma vie. C’était un instrument qui m’était essentiel quand je créais, découpais et collais. J’aime la manière dont il cisaille les choses : avec précision.
Perçois-tu une différence entre ton travail commercial et personnel ?
Je pensais que je ne vivrais de mon art. Mais j’ai gagné en confiance, j’ai travaillé et tout ça m’a conduit à collaborer pour d’autres que moi. C’était un peu frustrant, car en creusant cette veine, je ne trouvais pas le temps nécessaire pour explorer d’autres voies artistiques. J’ai mis beaucoup de temps à me faire confiance et à voir mon travail autrement.
Peux-tu me parler de tes collages et de ton processus créatif ?
Ils sont tous très différents – surtout depuis que je les réalise à des fins commerciales, pour des clients. Je suis amenée à suivre une idée, un concept avant de me lancer dans mes collages. Enfin, il m'arrive aussi d'en faire pour moi et c'est essentiel pour être inspirée, travailler pour les autres. J'adore dessiner, c'est une action qui me procure une satisfaction immédiate. Je vais tout le temps dans les musées pour observer, croquer sur le vif – je ne veux pas perdre la main.
Qu'est-ce que tu préfères dessiner ?
Les femmes, leur visage, leurs expressions, leur corps. Ce que révèle et dit de nous chaque visage me fascine. J'ai eu moi-même quelques appréhensions à me découvrir, à révéler mon identité et je cherche encore qui je suis. Je dessine beaucoup les yeux des autres. Le regard en dit long sur notre rapport à autrui, les interactions qu'on noue et la manière dont on communique. Quand je suis dans un musée, j'ai tendance à dessiner énormément d'oiseaux. Je me sens complètement libre et en phase avec moi-même, le crayon en main. J'en tire une grande satisfaction personnelle. De passage à Paris, je me suis rendue au musée Rodin et là, seule et au calme, sous le soleil, je me suis laissée aller à la contemplation, au désir de remplir une page blanche, avec frénésie. C'est mon jardin secret –les autres n'y ont pas accès et c'est un plaisir un peu coupable...
Tu penses que la culpabilité est une émotion plus féminine que masculine ?
Je sais que mes amies sans enfants ont plein de temps pour elles – elles peuvent se rendre au musée, dessiner, mais elles n'en font rien. Je me demande souvent pourquoi. Une fois qu'on s'installe dans une vie de famille, on s'aperçoit à quel point le temps pour soi est précieux. J'ai réalisé, de mon côté, que l'art était mon moyen d'expression personnel et surtout, qu'il fera de moi une meilleure personne, jour après jour.