Le cerveau caché derrière l’exposition immersive Björk Digital qui a lieu en ce moment à la Somerset House s’appelle Kate Vine. Aux côtés de Björk, de nombreux et talentueux cinéastes, Andrew Thomas Huang et Jesse Kanda pour ne citer qu’eux, Kate parvient à propulser le spectateur dans un univers parallèle, sensible et musical. Déjà, en 2011, Kate et Björk collaboraient autour du Biophilia Project, un concert spectaculaire au festival international de Manchester. Bref, Kate Vine, est la fille qu’il faut suivre et dont on apprécie particulièrement les conseils – voici comment faire ses armes dans un milieu pas toujours facile.
Comment t’es-tu retrouvée à curater et organiser des expositions ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai commencé en faisant du théâtre – j’ai dirigé la compagnie Royal Shakespeare pendant près de 10 ans. En 2007, j’ai eu la chance d’être contactée pour rejoindre l’équipe du Manchester International Festival (MIF) en tant que productrice indépendante. J’y travaille depuis 2010 en tant qu’organisatrice de tournées.
Quel est le rôle du MIF ? Tu pourrais m’en dire un peu plus ?
Le festival met à l’honneur la jeune-garde artistique, toutes disciplines confondues : la danse, le théâtre, les arts visuels, numériques, la musique contemporaine, classique. Le but étant d’encourager la collaboration. Toutes ces formes artistiques obéissent à leur propre langage, évoluent dans des univers différents. Et mon but est justement de faire en sorte que ces univers entrent en collision, qu’ils communiquent. En ce moment, nous organisons un ballet contemporain, Tree of Codes, une collaboration entre le chorégraphe Wayne McGregor, l’artiste Olafur Eliasson et le musicien Jamie xx.
De quelles qualités a-t-on besoin pour faire ses armes dans ce milieu ?
Avant tout d’endurance, de patience et de beaucoup beaucoup d’humour. Sans oublier une attention particulière aux détails.
Comment t’es venue l’idée de cette exposition, Björk Digital?
Björk et le MIF entretiennent une relation depuis quelques années maintenant. En 2011 exactement, lorsqu’elle présentait son projet multimédia, Biophilia, à l'occasion de sa tournée lors du festival. La chanteuse avait choisi de monter sur scène accompagnée d'un choeur de 24 islandais, équipés d'instruments de musique inédits et inventés, de David Attenborough, le naturaliste en charge des introductions enregistrées à partir de sons de la nature. Björk est ensuite revenue au festival en 2015 pour jouer Vulnicura, la première en Europe à l'époque. C'est donc tout naturellement que son équipe a frappé à notre porte pour nous aider à produire et imaginer la tournée Björk Digital à Sydney et d'aider à concevoir l'exposition.
Björk a-t-elle beaucoup participé à la conception de l'exposition ?
Björk s'est beaucoup investi dans cette exposition. Elle a mis en place et agencé la plupart des oeuvres présentées. Sa vision artistique s'est déployée à travers les différentes disciplines, les différents médiums. Elle a choisi ses collaborateurs et a tout fait pour que le spectateur vive une expérience unique, inédite.
Comment êtes-vous parvenues à faire de cette exposition une expérience intime et unique pour le spectateur ?
Nous avons fait en sorte que l'exposition ne soit jamais bondée ou saturée. Elle a été conçue par Björk à la manière d'un voyage au bout duquel chacun est libre de s'isoler du groupe, de méditer et de se relaxer dans des espaces prévus à cet effet. Le spectateur est libre d'y rester autant de temps qu'il le souhaite. Tous ceux qui ont participé à cette exposition d'envergure avaient en tête le projet de l'artiste : celui de permettre à chacun de tisser des liens d'intimité entre l'oeuvre et l'univers artistique de Björk.
Vous avez également mis à l'honneur la réalité virtuelle au sein de l'exposition. Vous pouvez m'en dire un peu plus sur ce processus ?
Björk Digital est une exposition multi-sensorielle et la réalité virtuelle en est un des rouages. Elle place l'expérience du spectateur au premier plan. Une fois le casque sur la tête, c'est tout un univers parallèle qui se déploie. Nous voulions que chacun soit transporté, dérouté par cette expérience inédite et immersive. C'était un vrai défi de faire dialoguer art et technologie au sein d'un même événement mais fort heureusement, nous avons eu la chance de discuter longuement avec HTC Vive, AMD, Intel, Bower et Wilkins. Tous ont oeuvré au bon déroulement de ce processus nouveau. C'est une véritable chance que chacun puisse expérimenter ce qu'il n'a pas l'habitude de faire chez lui. Lorsque le MIF a travaillé avec Björk en 2011, la technologie mise à l'honneur au sein du projet Biophilia a servi de pilier à notre démarche. Les écoliers de Manchester ont été les premiers à expérimenter les applications développées spécifiquement pour le projet de Björk et d'appréhender le dialogue entre musique et nouvelles technologies.
Björk est une des seules pop stars à s'être investie de la sorte pour une exposition, à s'être immiscée dans l'univers du commissariat. Pourquoi, d'après vous ?
Je pense qu'une exposition centrée sur le travail d'une artiste comme Björk doit nécessairement être une exposition immersive et multi-sensorielle. Tout le monde ou presque connait Björk, a déjà écouté une de ses chansons ou l'a déjà vue en concert. Cette exposition propose de dépasser le seul champ musical afin d'explorer l'univers déployé au sein de Vulnicura, ses paysages mentaux, ses plages islandaises et s'introduire dans sa bouche alors qu'elle chante Mouth Mantra. Les expositions à l'image de Björk Digital ou de la rétrospective ‘David Bowie is’ rencontrent un vrai succès parce qu'elles présentent les oeuvres des artistes qu'elles mettent à l'honneur mais surtout parce qu'elles retranscrivent au plus près leurs univers, leur vision artistique. Ce sont des artistes qui ont toujours expérimenté, mêlé les mediums et les disciplines. Björk a toujours oeuvré en ce sens. Je pense qu'à ses yeux, cette exposition doit se voir et se lire comme le reflet de notre façon très contemporaine de consommer la musique.