uda benyamina : "l'art est sacré"

Avec 'Divines', Uda Benyamina déjoue les stéréotypes qui collent aux banlieues françaises et joue avec nos sens. Rencontre avec une cinéaste qui croit encore au sacré. 

Uda Benyamina a des choses à dire. Sur la société française, sa jeunesse, ses misfits. Plus tôt cette année, la jeune réalisatrice décrochait la caméra d’or pour son premier long-métrage, Divines. Depuis son apparition sur les écrans à la rentrée, les journalistes ont vite étiqueté ce nouveau-venu sur la scène cinématographique française. Divines serait donc un « film de banlieue », un sulfureux sobriquet auquel Uda ne prête presque pas attention. Car malgré ce qu’on voudrait lui faire dire, Divines n’est pas un film de banlieue. C’est un film sur la jeunesse, sa fougue, sa hargne et son désarroi face à une société qui mange ses rêves. Jeunesse qu'Uda sacre à l'écran et qu'incarne brillamment la jeune actrice Oulaya Amamra. Son personnage, Dounia, quitte l'école pour rejoindre les rangs de Rebecca, la dealeuse la plus respectée du quartier. Elle rencontrera Djigui, un danseur exalté et passionné pour qui l'art est le seul salut. À contre-courant du cinéma d’auteur français, Divines ose faire parler les corps – suintants, transpirants, brûlants de désir ou d'ailleurs. C'est un film qui nous entraine dans un univers spirituel, charnel et sensible, à mille lieux des stéréotypes qu'on voudrait bien lui prêter. Pour toutes ces raisons, nous avons saisi l'occasion de rencontrer Uda – une cinéaste qui croit au sens du mot "sacré". 

Dans votre dernier film, Sur la Route du Paradis, la force et la hargne étaient incarnées par une femme. Avec Divines, ces attributs sont également de leur côté. Vous diriez de votre cinéma qu’il est féministe ?

Oui et non. Mes personnages ont un « combat de l’âme à mener », pour reprendre les mots de Dounia dans Divines. Pour autant, ma démarche est inconsciente et je ne me revendique pas d’un cinéma dit "féministe". Je me suis toujours intéressée aux désaxés, aux marginaux, à ceux qui marchent au bord de la société. La marge, dans son ensemble, me parle. C’est pourquoi j’ai choisi de monter mon association, 1000 Visages, pour aider les jeunes qui n’ont pas l’opportunité d’avoir accès aux métiers du cinéma. C’est une même démarche, consciente cette fois-ci, qui s’attache à combattre et faire voir l’injustice, d’où qu’elle vienne et quelle qu’elle soit : féminine, masculine… Je ne souhaite pas qu’on réduise ma problématique à la question des femmes, surtout dans un film comme Divines, qui englobe une réalité plus large. La condition féminine n’en est qu’une des composantes. En revanche, j’ai mes obsessions et mon cinéma s’attache à les refléter.

Quelle est cette obsession ?

L’obsession de la lutte, du combat. Mais c’est un combat qu’on mène tous, à moindre échelle. Ce combat n’est pas, par essence, féminin. Il est avant tout humain.

Vous diriez donc de vos films qu’ils sont engagés ?

Complètement. J’ai toujours mis de l’engagement dans mon art et de l’art dans mon engagement. Le cinéma est un acte politique.

Qu’en est-il de la spiritualité ? Divines est à mon sens, un film plus spirituel que politique… 

C’est vrai, mes films ont toujours fait dialoguer politique et sacré : le politique comme vivre ensemble et le sacré comme vie intérieure. Je questionne notre rapport au monde moderne à travers mes films. J’espère y être parvenue avec Divines. Avant tout, j’essaie de raconter une histoire d’amitié. L’alter-ego de Dounia, c’est Djigui, qui aspire à la dignité et c’est justement l’art qui le sauve. L’art est une forme de religion – il incarne le sacré. 

Djigui, d’ailleurs, est un danseur incroyable. Vous avez choisi de filmer la sensualité et la force du corps humain à travers son personnage. Quelle relation entretenez-vous avec la danse, personnellement ?

Ce film a été pour moi un moyen d’exulter, de transcender une force obscure qui était en moi. J’ai mis ma colère au service de l’outil cinématographique pour la transformer en question, puis en revendication. Voilà pourquoi seul le personnage de Djigui s’en sort, car l’art le sauve et le transcende. L’art est un moyen pour lui de se dépasser. J’ai fait par ailleurs appel au chorégraphe Nicolas Pol pour le film. On a beaucoup discuté ensemble, notamment du caractère sacré de la danse au sein de la trame narrative du film. Les personnages se tapent le corps, on a beaucoup filmé de haut, pour exacerber les gestes de chacun des corps. Et si j’adore le dialogue et qu’il traduit les émotions des personnages, je raconte essentiellement mes histoires par le corps.

La violence est incarnée par deux personnages féminins, la grâce et la douceur se retrouvent chez Djigui, un homme donc. La démarche qui consiste à déjouer les stéréotypes du genre est-elle consciente chez vous ?

Ni la violence ni la grâce ne sont l’apanage d’un sexe. La sensibilité non plus. Je suis témoin de notre société, au même titre que les jeunes rappeurs commencent à questionner la binarité des genres à travers leurs clips et leur musique en général. Dans le cinéma français, c’est effectivement une nouveauté. Mais je suis intimement persuadée que de plus en plus de réalisateurs se permettront de questionner à leur tour cette notion très actuelle.

Dounia voit en Rebecca, la dealeuse du quartier, un mentor. Est-ce qu’en tant que femme et en tant qu’artiste, vous croyez à l’exemple, aux mentors ?

Je crois aux mentors, aux maitres aux exemples. Nous en avons tous besoin, l’ignorer est un leurre, au mieux de l’hypocrisie. On apprend des plus grands lorsqu’on crée. Dounia voit en Rebecca une mère de substitution. J’ai voulu montrer à quel point Dounia cherche une figure d’autorité pour atteindre ses objectifs. Djigui, lui, voit un père dans le chorégraphe qui l’entraine. L’exemple nous sert à grandir, jusqu’à ce qu’on accepte de s’en émanciper et de le tuer. En tant que cinéaste, je me suis reconnue dans de nombreuses femmes libres, fières : Marie Callas, la cantatrice, ou Djamila Bouhired, résistante pendant la guerre d’Algérie. J’ai en tête de nombreuses figures qui m’ont fait grandir. 

Je crois savoir que vous aimez lire Pasolini et Céline. Les deux portaient un regard cynique sur la société. Dé-dramatiser et se moquer de soi-même, c’est un acte politique ?

Oui, évidemment. Il faut rire de soi pour prendre du recul sur sa propre condition. J’ai tiré le plus drôle et le plus joyeux de mon quotidien, malgré le drame général en marche. Mes personnages ont un regard singulier, distancié à sur leur propre cheminement et leurs propres travers. Je suis une femme d’action, de mouvement. La psychologie d’un personnage passe par ce qu’il fait et non ce qu’il dit dans mon film. L’action ne ment pas. Le verbe oui. L’abus de langage, dans le cinéma, est une tendance très française. Beaucoup de réalisateurs ont raconté le quotidien des kids de banlieue d’un point de vue sociologique. Je ne me reconnais ni dans L’esquive ni dans la Haine, bien que je respecte par ailleurs leurs réalisateurs. Je me sens plus proche d’un Bertrand Blier, des Valseuses, avec un Dewaere et un Depardieu qui déambulent et errent sous nos yeux. C’est ce regard, sans jugement ni morale envers mes personnages que je souhaite transmettre aux spectateurs.

Qu’est-ce qui est sacré à vos yeux ?

Ce qui donne du sens à la vie, quelle que soit la forme qu’on lui donne : la religion, le soufisme, la danse, le cinéma, la sculpture – toute pratique capable d’élever et de transcender l’âme. Au sein de Divines, c’est une histoire d’amour, d’amitié, la danse ou la religion. La spiritualité est dans l’air, elle est partout, à condition qu’on veuille bien la saisir et l’honorer. 

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