« Je suis née avec le désir de faire de la musique, s’empresse de répondre Dua Lipa à qui l’on vient de poser par téléphone, la fatidique et sempiternelle question : « C’était quand ta première rencontre avec la musique ? ». Elle enchaîne, sans transition: « J'ai attendu mes 15 ans pour accomplir mon rêve. Je vivais avec mes parents au Kosovo mais j’ai pris la décision de m’installer à Londres. Je me sentais enfin prête. » L'été dernier, sa voix sombre et douce s’est révélée sur le hit Hotter Than Hell et s’est exportée partout à travers le globe. Pour No Lie, le tube qui a suivi, la jeune chanteuse métamorphosée en pop star s’est alliée à l’indétrônable roi du dancehall : Sean Paul.
Dua Lipa, 21 ans aujourd’hui, une carrière naissante et un premier album tout juste sorti, a passé les deux dernières années à monter sur la scène des plus prestigieuses salles de concerts du monde, et fait vibrer des milliers de fans à l'unisson. De passage à Paris il y a quelques semaines et entre deux interviews, la jeune pop star a néanmoins pris le temps d’errer dans les rues de la capitale, de se perdre et d’honorer ses rares minutes en solitaire : « J'ai adoré marcher dans Paris... Et me balader dans les quartiers touristiques : c'était génial !, s’extasie-t-elle avant de se reprendre : « Mais je suis contente d’être enfin de retour chez moi, à Londres. » Dua Lipa a beau s’être habituée à la scène, aux lumières des projecteurs et la frénésie du monde de la mode qu’elle a côtoyé le temps d’une brève carrière dans le mannequinat, elle a la ferme intention de rester les pieds sur terre – ne cherche pas à être intouchable mais rêve de faire corps avec celles et ceux qui l’écoutent : « Je veux que les gens se retrouvent et soient touchés par mes chansons. Pour ça, l'honnêteté est fondamentale. Avec cet album, j'ai voulu rester fidèle à moi-même. Beaucoup de mes chansons sont nées lorsque j'étais seule, assise devant mon piano. » Combattante et fière de son parcours, Dua ne nie pas traverser des moments de doutes : « Ma musique reflète ma personnalité, et je suis arrivée à un point où je parviens à puiser de la force dans mon intégrité. On peut être en colère, nostalgique, amoureuse : ces sentiments rendent plus forts. Et ils m'inspirent de nouvelles chansons. » De la mélancolie à l’extase, de la désillusion à la gloire, les émotions contraires s'épousent au sein de son premier album. « C'est un résumé de toutes mes émotions », lance-t-elle fièrement, avant d'ajouter : « j'ai envisagé tout le processus de manière très personnelle, de l'enregistrement à la production. Je me suis assurée que chaque chanson vienne de moi et révèle un aspect de mon existence. »
Ce nouvel opus, sobrement intitulé Dua Lipa, n'est pas juste un énième chef d'oeuvre pop mais bien la retranscription poétique des sensations qui la guident et la traversent au quotidien. C’est peut-être aussi la plus belle preuve que la vulnérabilité sert la force. Intriguant mix entre rythmiques r’n’b, prods entêtantes et voix aux élans soul, son album résonne comme une imprécation à se laisser guider par l’amour.
Dans son premier titre Genesis, Dua Lipa invoque son irrépressible besoin d’aimer et d’être aimée : « I need your love / And I'm dying for the rush »; renoue avec le souvenir d’une ancienne histoire dans No Goodbyes et s’attache à dépeindre la sensation de vide qui l’envahit lorsqu’elle est loin de ceux qu’elle aime au détour d’Homesick, une ballade au piano qu’elle fredonne aux côtés de l’inimitable Chris Martin. Ce morceau qui ferme l’album, résume à lui seul la démarche et le style de celle qui avoue sans détour faire de la : « dark pop ». Entêtante et sombre, brutale et lumineuse : Dua Lipa fabrique la pop d’une époque marquée par ses soubresauts incessants, son instabilité suffocante. La jeune musicienne en a fait sa force.
Peu importe ce que disent ou pensent les autres, restez en accord avec vous-mêmes. Soyez intègres. Et surtout, affirmez-vous.
Issue d'une famille de musiciens (son père est le chanteur kosovar Dukagjin Lipa), Dua s’est façonnée sa propre éducation, alternant dès l'adolescence hip hop, pop et rock, des inspirations qu’on retrouve disséminées dans son premier album : « Je ne me suis jamais tournée vers un style particulier, admet-elle. J'aime écouter tous les styles de musique. J'ai grandi avec les voix de Bob Dylan, David Bowie et Radiohead… Elle marque une pause, ajoute : Mais en même temps, je courais aux concerts de Busta Rhymes et Snoop Dogg ! » Un peu comme nous, au fond. Elle avoue aimer J Cole et n’hésite pas à laisser transparaître toute l’admiration qu’elle a pour Kendrick Lamar.
Dua Lipa est le symbole de toute une génération : celle qui s’est affranchie des barrières du genre, a su faire de la collaboration un mot d’ordre et un moteur (Miguel, le jeune producteur californien, apparaît sur le sensuel et lyrique Lost in Your Light) et trouvé de la beauté dans la noirceur ou l’âpreté d’une époque plus que jamais instable : « l'amour blesse, c’est sûr. Mais retranscrire ses émotions permet d’en guérir aussi ». Conjurer ses peurs et avancer, coute que coute : c’est le mantra que s’est donné Dua : « Bon, c’est quoi la suite ?, plaisante-t-elle au téléphone. C’est la seule question que je me pose en ce moment. Je réfléchis déjà à mon second, mon troisième et même mon quatrième album ! » s’exclame-t-elle, à l’autre bout du fil. Pas de doute, Dua Lipa a la ténacité d’une guerrière. Une qualité indispensable pour se faire entendre dans l'industrie de la musique, peu réputée pour être un modèle en matière d’égalitarisme : « En tant que femme et en tant qu’artiste, je vois bien à quel point nous devons nous battre deux fois plus que les hommes. Le seul conseil que j’ai à donner aux jeunes filles est le suivant : continuez à vous battre, même si c'est dur. Peu importe ce que disent ou pensent les autres, restez en accord avec vous-mêmes. Soyez intègres. Et surtout, affirmez-vous. » On tâchera de s’en souvenir.
Dua Lipa sera en concert au YOYO le 17 octobre prochain.