L'union fait la force, la diversité aussi : Lisa-Kainde et Naomi Diaz l'ont bien compris. Les sœurs jumelles à la tête d’Ibeyi ont choisi de célébrer leurs différences – en studio ou sur scène. Si Naomi joue du cajón et du batá, le tambour sacré de la religion Yoruba, Lisa écrit et compose. L’éclectisme de leurs références musicales reflète une vision du monde et de la musique qu’elles partagent depuis l’enfance. Entre Paris, la ville qui les a vues grandir et Cuba, d’où elles sont originaires, les sœurs Ibeyi ont malgré tout une ambition immuable et commune : retranscrire leur vécu, leurs émotions quotidiennes et l’amour qu’elles vouent à leur famille, en mélodies soul et sensuelles. Nous les avons rencontrées pour parler de leur second album et de leurs multiples inspirations.
Qu'est-ce que vous faites en ce moment à Londres ?
Naomi : On enregistre notre nouvel album à Londres ! On est très excitées à l’idée de composer et partager de nouveaux morceaux. On a la chance de pouvoir retranscrire des choses sans avoir à les expliquer ni les décrire. Quiconque écoute un morceau peut être touché, ça n'a rien à voir avec la connaissance. Il suffit de se laisser guider par ses émotions. Notre nouvel album, ce sont deux voix qui s'accordent en coeur sur des beats puissants.
J’ai cru comprendre que vous aviez des goûts très différents… Qu’est-ce qui vous inspire en ce moment, musicalement ou artistiquement ?
Naomi : En ce moment, je m’ambiance sur Young MA, Kendrick Lamar, Ms Lauryn Hill et sur du reggaeton.
Lisa Kainde : Je suis fidèle à Ocean Size, James Blake, Bon Iver… Mais la photographie, comme les livres, m’inspirent autant que la musique. Je pourrais citer la photographe Francesca Woodman ou mon bouquin du moment, Widow Basquiat, qui revient sur les liens que nouaient l'artiste et ses muses.
L'envie d'écrire et composer, c'est quelque chose de naturel pour vous ?
Naomi : L'envie d'écrire peut survenir n'importe où et n'importe quand. Elle peut venir d'une émotion vécue, qui se transforme en mélodie instinctivement. Parfois, c'est en s'asseyant face au piano, en cherchant longtemps et avec attention que nous vient l'idée d'une chanson.
Lisa Kainde : Nous avons toujours composé, même lorsqu'on était en tournée. Du coup, quand on a débarqué au studio, on avait environ 20 chansons déjà prêtes. Nous en avons composé de nouvelles une fois sur place, après s'être accordées sur un battement de tambour. En réalité, tout peut nous inspirer la mélodie d'une chanson : une lecture, un film, un rythme, une émotion, une image, un mot. La vue est un sens intrinsèque à notre façon de penser et composer la musique. Je m'inspire beaucoup des images, des films, des documentaires. Elles tiennent une place importante dans mon processus créatif. J'imagine que c'est un des traits de ma génération.
Vous n'hésitez pas, dans vos chansons, à évoquer votre passé, à retranscrire vos émotions les plus intimes. La musique est-elle un processus cathartique, selon vous ?
Naomi : Nos chansons sont à l'image de ce qu'on a vécu; elles reflètent les questions qu'on se pose au quotidien, les choses qu'on voit, qu'on ressent. Ce n'est pas tellement la musique comme produit fini qui nous apaise ou nous guérit mais le processus créatif en amont. Ce qu'on ressent après avoir fini un morceau en studio, savoir qu'on pourra le partager sur scène à notre public, ça n'a pas de prix. Et on s'estime très chanceuses d'avoir accès à ces émotions ! La musique fait partie intégrante de nos vies, nous avons grandi avec elle. Le fait de pouvoir la partager au monde nous comble, tout simplement.
Vous chantez en Anglais et en Yoruba mais vous avez grandi à Paris. Qu'est-ce qui vous a poussé à chanter dans ces deux langues ?
Lisa Kainde : On a appris la musique en l'écoutant beaucoup et en regardant des films. La plupart des morceaux qui nous ont forgées, depuis l'enfance, étaient en Anglais. Quand on a signé chez XL, on avait déjà pris l'habitude de chanter en Anglais – sauf qu'on le parlait pas extrêmement bien ! On a dû bosser pour que notre producteur et les gens sur scène, en concert, nous comprennent. Quant au Yoruba, nous avons grandi avec : à la maison, on écoutait des chants traditionnels. On en est tombées amoureuses et dès l'âge de 15 ans, on s'est mises à étudier la langue au côtés d'un groupe de percussionnistes qui jouaient exclusivement du batá. Mais plus que la beauté de la langue, c'est son histoire qui coule dans nos veines. Chanter en Yoruba est une façon de rendre hommage à notre père et nos ancêtres. Une manière de partager la richesse et la beauté de cette tradition orale.
Vous avez l'air d'être très attachées à vos racines et votre enfance. Quel souvenir en gardez-vous ?
Lisa Kainde : L'un des plus beaux souvenirs que j'en ai, c'est l'image de ma mère, Naomi et moi, dansant dans notre salon. C'était notre rituel jusqu'à nos 17 ans. On riait beaucoup et la joie emplissait l'espace. Quant à la musique, j'ai le souvenir de l'avoir toujours écoutée. On allait aux concerts de notre papa quand on était petites. D'ailleurs, j'ai des photos de nous, dans la fosse d'une salle de concert... Je pense qu'on n'avait même pas 2 ans !
Naomi : Je me souviens des câlins qu'on se faisait en famille, avec notre père et notre mère et de tout l'amour qui en découle.
Vous êtres jumelles mais très différentes physiquement... Qu'en est-il psychologiquement ?
Naomi : Nous sommes complémentaires et opposées : mélodie et rythme, eau et feu, réflexion et spontanéité, yin et yang... Mais s'il y a bien une chose qu'on a en commun, c'est la musique. Ni Lisa ni moi ne pouvons vivre sans. La musique nous réunit.
Ça vous arrive de ne pas être d'accord ?
Lisa Kainde : Oui ! On s'engueule tout le temps, à propos de tout et rien !
Vos racines cubaines se retrouvent disséminées dans votre musique. Qu'en est-il de Paris, la ville où vous avez grandi ?
Lisa Kainde : Petites, on passait l'été chez nos grands-parents, dans un petit village de Cuba. C'est en s'y rendant, en parlant avec nos amis et nos cousins là-bas, qu'on s'est aperçues à quel point on avait de la chance de grandir à Paris. Déjà parce que c'est une des plus belles villes du monde. Ensuite, parce qu'elle nous a permis de nous familiariser aux musiques du monde entier, d'enchaîner les concerts et de voir toutes sortes de films.
Qu'est-ce qu'on ressent, lorsqu'on est sur scène devant des milliers de personnes ?
Naomi : On ressent beaucoup d'énergie – celle qui nous lie l'une à l'autre et celle du public qui se tient en face de nous. Plus on la ressent, plus on en ressort heureuses. Sur scène, la peur n'existe plus. Rien n'est plus libérateur et salvateur.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes filles et femmes qui veulent faire de la musique ?
Ibeyi : Crois en tes rêves et surtout reste intègre à ce que tu es. Les gens te le rendront, c'est certain. Ah oui, et n'oublie pas d'engager un bon avocat ! (rires).