L'artiste Maggi Hambling CBE, née à Suffolk, est la première à être entrée en résidence à la prestigieuse National Gallery. C’était en 1980. Depuis, ses œuvres introspectives et chargées d’émotions ont été exposées par les plus grandes institutions culturelles à travers le monde.
Depuis les années 1960, à l’époque où elle se lance dans sa carrière artistique, Maggi n’a eu de cesse de retranscrire à travers ses sculptures et ses peintures, les aspérités de la condition humaine. Après une rétrospective de son travail au British Museum l’année dernière, Edge, sa dernière exposition à la galerie Marlborough de Londres présentait des œuvres inédites de l’artiste, réalisées dans les cinq dernières années. Elles reflétaient la vision immédiate de l’artiste sur le monde, qu’elle puise dans son horreur, sa vulnérabilité ou sa beauté. « Le sujet s’empare de moi et non l’inverse, le sujet dicte ma quête effrénée de vérités, » explique-t-elle.
W H Auden a un jour comparé le fait de faire de l’art à celui de couper du pain avec la mort. Je trouve ça génial.
À l’âge de 14 ans, j’ai réussi à attirer l’attention sur moi à l’occasion d’un devoir en arts plastiques car j’étais éperdument amoureuse de la prof de biologie qui nous surveillait. Quand j’ai regardé l’heure, je savais qu’il ne me restait plus qu’à me surpasser donc j’ai fait très vite et quand les résultats nous ont été communiqués, j’étais la première de la classe ! C’était un vrai choc pour moi et je me souviens m’être dit : « Je vais creuser dans cette veine parce que je suis douée là-dedans et je n’ai pas à chercher plus loin. » Plus tard, j’ai découvert le travail de Mark Rothko, Van Gogh et Cy Twombly. Je considère que toute œuvre d’art est un espace où s’enjoignent la vie et la mort, où elles dialoguent, enfin. C’est un territoire mystérieux et une belle œuvre d’art peut vous renvoyer aux lieux et états de votre existence, provoquer en vous la sensation d’être vivant, de frôler la mort et, de fait, c’est ce que m’inspirent ces trois artistes que je cite plus haut. W H Auden a un jour comparé le fait de faire de l’art à celui de couper du pain avec la mort. Je trouve ça génial.
J'avais 7 ans lorsque j'ai ressenti cet irrépressible besoin de créer pour la première fois.
J’ai tenté de coucher sur une feuille de papier les émotions que j’avais ressenties en lisant La Case de l’oncle Tom. La mode à l’époque était de réaliser des motifs à l’aide de crayons dans les cases des livres d’arithmétique prévues à cet effet. Et tandis que tous mes camarades s’attelaient à ne pas dépasser des cases, j’essayais de dépasser ces cadres pour dessiner de véritables fresques. Ma première émotion liée à une image non pas naturelle mais fabriquée par les mains de l’homme, je la dois à un vitrail de l’Église d’Hadley à Suffolk, où j’ai grandi. Je me souviens très bien de ce bleu, ce pourpre et ce jaune si singuliers. J’ai quitté l’école à 16 ans avant de poursuivre des études d’art à la Ipswich Art School pendant deux ans. La formation était très stricte – on passait des journées à dessiner, d'autres à sculpter, à faire de la poterie, ou des gravures. C’est là-bas que j’ai eu mon premier contact avec la sculpture.
Je tiens mon pinceau dans une main, ma cigarette dans l’autre
Après être sortie première de la section art de l’école à 14 ans, ma mère a payé pour que je puisse rester avec ma professeur d’arts plastiques pendant une semaine à Suffolk. C’est la première fois que je touchais à la peinture à l’huile. Il faisait très chaud, les insectes grouillaient partout. Ils se prenaient les pattes dans les toiles, la palette et les pinceaux. Partout. Ma professeur errait dans le champ, tout en examinant de près ce que je faisais. Quand je lui ai demandé ce que je pouvais bien faire de tous ces insectes, elle m’a dit : « Il n’y a qu’une seule chose à faire : fume une cigarette. » J’ai réussi à arrêter la cigarette pendant cinq ans, à l’âge de 59 ans. J’avais promis que je le ferais car mon père s’était arrêté à 59 ans. J'étais persuadée que je parviendrais à accomplir ce que peu de personnes sont parvenues à faire. Je ne peux pas vous dire combien j’en ai fumées aujourd’hui, un nombre affolant, innombrable !
La première chose que je fais le matin en entrant dans mon atelier est de dessiner quelque chose, n’importe quoi pour me re-familiariser au sens du toucher grâce au contact du fusain sur le papier.
Je commence très tôt, à 6 heures du matin ou plus tôt parfois. Ensuite je fume ma première cigarette, je bois une tasse de café et je commence à dessiner, après m’être enfilé quelques cigarettes. Je travaille jusqu’à l’heure du déjeuner, je sors promener le chien et je me remets au travail à 18 heures. Je jette un œil à ce que j’ai produit jusqu’ici. Le jour même, il m’arrive de trouver ce que j’ai fait remarquable puis le haïr le lendemain ou vice-versa. C’est très aléatoire. Le soir je m’entretiens avec mon œuvre, un whisky entre les mains. Je travaille tous les jours, je suis quelqu’un d’ennuyeux. Je ne prends jamais de vacances – si j’étais du genre à le faire, je serais sans doute un peu plus fofolle. Le fait d’organiser des expositions me sort de la réalité de l’atelier. Ma dernière exposition présentait trois années de travail et depuis, je suis continuellement dans mon atelier. Je peins. Je détruis beaucoup, aussi. Je vis dans le doute en attendant que les choses marchent. Je suis une workaholic et je formule l’espoir d’être toujours meilleure.
Leonard Cohen est un de mes artistes préférés.
J’ai toujours aimé sa poésie et l’économie qu’il en faisait dans ses chansons. Son dernier album m’a donné l’impression qu’il s’entretenait avec Dieu à travers ses chansons. J’ai fait le portrait de Leonard quand j’ai appris sa mort. J’en étais toute retournée. L’art me permet d’explorer ce qui m’émeut dans la vie, qu’il s’agisse de la mort, d’une personne que j’aime, de la guerre ou la fonte d’une calotte glaciaire. Mais cela peut être un buveur solitaire dans un bar, mon portrait d’Hamlet et des événements qui se déroulent en Syrie. Tout ce qui me touche dans la vie crée en moi le besoin d’y répondre. À mes yeux, l’art doit toucher le public autant que son sujet a touché l’artiste. Rien n’est jamais prévisible en art. Il suffit que quelque chose se passe et que je ressente en moi cet irrépressible désir de retranscrire cette sensation dans chaque dessin, chaque coup de peinture. Tout est l’expérience, qu’elle soit le fruit de ma colère ou m’inspire de la beauté.
Maggi Hambling: Edge se tiendra à la Marlborough Gallery de London jusqu'au 13 avril