Le cinéma ne déroge pas à la règle de la misogynie. L’année dernière, au prestigieux festival de Cannes, seulement trois réalisatrices figuraient sur la liste des nominés. Jane Campion est la seule et unique femme à pouvoir se targuer d’avoir remporté la Palme d’Or – et c’était en 1993. Si le Festival de Cannes n'est pas le seul et unique coupable, il n'en reflète pas moins les inégalités qui persistent à faire taire la voix des femmes derrière les caméras. Malgré la persistance de ces discriminations, les réalisatrices françaises créent de plus en plus et prouvent qu’elles n’ont rien à envier à leurs homologues masculins – ni la justesse de leur propos, ni la force de leur scénario, ni la puissance visuelle de leurs films. Le cinéma selon Alice Winocour, Julie Delpy, Uda Benyamina, Céline Sciamma et Noémie Lvovsky, se conjugue au féminin et se construit en dehors des limites que la tradition du cinéma français leur impose. Leurs films brouillent et déjouent à dessein les lignes entre les genres –qu’il s’agisse du thriller pour Maryland, de la comédie pour Two Days in Paris, du film de gangster avec Divines et Bande de Filles ou du remake avec Camille Redouble. Un certain adage dit que les femmes font des films avec leur utérus et prêchent par excès de sensibilité. Il est peut-être temps d’inverser la tendance et de célébrer le cinéma au féminin avec ce qu’il porte de poésie, de beauté et de sensualité. Voici cinq films qui sauront émerveiller vos sens.
Two Days in New-York, Julie Delpy : Le goût
Il suffit de voir un film de Julie Delpy pour en tomber fou d’amour. Après son épique Two Days in Paris, dans lequel Julie jouait le rôle de Marion, une photographe éprise d’un Américain qu’elle présentait à ses parents (fous, eux aussi), la réalisatrice revient avec une comédie débordante d’amour et de bagels frais. Si tôt arrivée à l’aéroport de New York, la petite famille se voit confisquer son fromage et son saucisson par la douane américaine. Un stéréotype savamment malmené par Julie Delpy qui aime taquiner avec tendresse nos petites manies françaises. L’autodérision a du bon.
Divines d' Uda Benyamina : Le toucher
La réalisatrice française qui remportait il y a quelques mois la Caméra d’or comprend la jeunesse mieux que quiconque. Et Divines en est la plus belle preuve. Ce film de gangster porté par un trio féminin aussi hargneux que Tony Montana sait aussi parler à nos sens. Son personnage principal Dounia, interprété par la brillante Oulaya Amamra, rejoint les rangs de la dealeuse la plus respectée du quartier avant de perdre pied. C’est dans les bras de Djigui, un danseur passionné, qu’elle redéfinira sa vision du bonheur et de la réussite. Uda filme la beauté des corps qui s’aiment comme personne : transpirants, vibrants, en mouvement. Avec Divines, la danse devient matière à s’indigner et se révolter.
Bande de Filles, Céline Sciamma : L’odorat
Le très beau film de Céline Sciamma offre une vision alternative et féminine de la banlieue française. Sa grande force est d’avoir juxtaposé à la dénonciation des inégalités économiques et sociales françaises le portrait d’une féminité plus complexe qu’on ne la dépeint. Dans une scène particulièrement éloquente, sa bande de filles éponyme – Lady, Fily Adiatou et Merieme – se prépare à sortir en écoutant, dans une chambre éclairée aux néons bleus, Diamonds de Rihanna. De la pièce qu’elles occupent émane une odeur de parfum, de poudre et de maquillage que le confinement de l’espace rend palpable. Une poétisation des rituels de beauté que Céline Sciamma file tout au long de son film, pour célébrer une vision moderne de la féminité.
Maryland, Alice Winocour : L’ouïe
Alice Winocour ne fait rien comme personne. Avec Maryland, elle est l’une des premières réalisatrices françaises à s’emparer du thriller – une prérogative masculine, soyons honnêtes. C’est à travers les yeux d’un garde du corps interprété par Matthias Schoenaerts, fraîchement revenu de l’Afghanistan, que le spectateur est invité à pénétrer un univers d’une violence inouïe. Chaque son que Vincent entend (le bruit d’une voiture qui démarre, une porte qui claque ou même la sérénité du silence) le brusque et l’entraîne à revivre éternellement son passé. Prisonnier de ses angoisses, le personnage victime d’un choc post-traumatique sert la dénonciation de la guerre.
Camille Redouble, Noémie Lvovsky : La vue
Après s’être rendue chez l’horloger pour réparer sa montre, un cadeau qu’elle a reçu pour ses 16 ans, Camille se réveille le lendemain dans la peau de l’adolescente qu’elle était, 20 ans plus tôt. De retour en 1985, au lycée et dans la maison familiale, elle revit jour pour jour ce qu’elle a vécu de beau, de tragique et d’émotions dans la cour de récré. Coincée dans son propre passé, Camille voit défiler sa vie sous ses yeux. Un rembobinage en dehors de toutes règles cinématographiques.