Fabienne Verdier est une peintre abstraite française dont les toiles explorent les thèmes immatériels de l’existence : l’énergie, l’influence, la force, la gravité et l’humanité. Ses peintures sont méticuleusement préparées – les toiles en bois sont submergées de couleurs denses et superposées grâce à des lignes tracées à l’aide d’outils faits main. Dans ses « Walking Paintings », l’artiste créé un parcours et laisse une grande liberté d’action à la matière. Elle parvient ainsi à capturer l’essence même de l’énergie.
Ces tracés rappellent l’acte de peindre et en sont le résultat. Misant sur la rencontre spontanée entre la peinture et la toile, elle représente l’antique et le monumental. Son travail est plein de contrastes – contemporain mais référencé, méditatif et grouillant d’énergie, évident et complexe – il invite le spectateur à se perdre dans les méandres des coups de pinceaux et les filaments qui s’étirent comme des pulsations électriques.
La peintre s’est entrainée pendant dix ans en Chine. Là-bas, elle a étudié la calligraphie et l’esthétique asiatique. Plus récemment, Fabienne a collaboré avec la Julliard School of Music afin d’explorer les liens entre l’harmonie et le rythme dans l’art oral et visuel. Ses « Walking Paintings » et les peintures expérimentales de la Juilliard School, les « Rhythm and Reflections », sont exposées à la galerie « Waddington Custot » de Londres jusqu’en Février 2017.
A film by Ghislain Baizeau © Fabienne Verdier Studio
Vous étiez déterminé à devenir peintre depuis votre plus jeune âge. Qu’est-ce qui vous a amené à cela, et comment êtes-vous devenue une artiste abstraite ?
Quand mes parents ont divorcé, mon père est parti vivre à côté du Musée Rodin – il nous emmenait dans les musées toutes les deux semaines, ce qui m’a permis de découvrir ce qu’était l’art. J’étais une enfant un peu triste, mais le monde de l’art m’a permis de m’échapper. Je pense que c’est une nécessité pour moi d’être dans ce type de monde. Mon père a été mon premier professeur et j’ai beaucoup appris à ses côtés. À l’âge de 8 ans, il a voulu m’apprendre la perspective, le point de vue mais j’ai longtemps refusé. Il était très mécontent car c’était selon lui les bases de la compréhension de la réalité. Sauf que pour moi, il n’en était rien. J’ai voulu suivre mon intuition malgré ses réprimandes.
Alors quelle était ton intuition ?
La représentation figurative équivaut à la mort pour moi. Mes intérêts sont la vie, le mouvement perpétuel et la maîtrise de la spontanéité. Mes professeurs d’art me trouvaient effacée en classe, c’était le cas. Ils m’ont proposé d’aller en Asie car selon eux, cette culture m’était plus adaptée.
J’ai vécu en Chine pendant dix ans, c’était un entraînement très compliqué pour moi. Ensuite je suis revenue en France. La genèse et la maturation de mon travail se trouvent dans les deux cultures. J’ai redécouvert la culture européenne à la suite de ce voyage : Rembrandt, Turner, Victor Hugo… Et j’ai déconstruit tout ce qu'on m'avait appris à l'école.
Comment est-ce que la culture Asiatique t’influence-t-elle aujourd’hui ?
J’ai décidé de dédier toute ma vie à l’art asiatique qui joue beaucoup avec les forces fondamentales de la nature et de la gravité. Je pensais qu’en m’y intéressant en profondeur je parviendrais à inventer un nouveau langage abstrait – pas celui de De Kooning ou Pollock mais le mien. J’ai inventé de nouveaux outils – j’ai coupé la partie boisée des pinceaux, puis je les ai attachés au guidon de mon vélo, j’ai découvert de nouvelles possibilités artistiques. Récemment j’ai dématérialisé le pinceau, en créant un entonnoir répliquant la partie intérieure du coup de pinceau. Lorsque je regarde mes tableaux, c’est à chaque fois une nouvelle expérience au cours de laquelle j’utilise tout mon corps et tous mes sens. C’est une nouvelle expression et une nouvelle énergie.
Vous avez récemment été invitée par la Juilliard School of Music pour travailler avec leurs musiciens. Comment ça s’est passé ?
Ils m’ont invité à créer une sorte de laboratoire – j’étais la première peintre à le faire et même si ça n’a pas été simple, c’était fantastique. J’ai rencontré d’importants musiciens qui m’ont invité à travailler avec eux. Les premiers mois ont été horribles car il est compliqué d’oublier ce qu’on a appris auparavant. Mais nous nous sentions en confiance ensemble, nous nous observions et nous écoutions de manière spontanée. Pendant 30 ans j’ai eu une certaine vision de ce qu’était une ligne harmonique, et j’ai créé mes propres formes et mes propres structures. Lorsque j’ai rencontré ces musiciens, j’ai fermé les yeux et entendu quelque chose de totalement nouveau. Une nouvelle structure est apparue dans mon cerveau : j’ai découvert de nouvelles formes et un nouveau dynamisme qui sont à l’origine d’une vraie révolution dans ma peinture.
J’utilisais mon souffle et le son des coups de pinceau, puis quelque chose d’exceptionnel est arrivé. Des choses réelles sont apparues devant moi – je n’imaginais pas que ce genre de choses puisse arriver – une rivière, des rochers ; je me suis complètement laissée aller et je percevais des formes à travers le rythme de la musique.
Est-ce que les musiciens ont connu la même expérience ?
Oui ! Nous avons beaucoup échangé lors de nos silences. J’étais très solitaire et ils ont tout de suite compris certains aspects de ma personnalité qui étaient enfouis en moi. Cela m’a rappelé des souvenirs, m’a ouvert des portes et leur a apporté un nouveau dynamisme. Les musiciens ont eu du mal à ouvrir leur esprit et prendre des risques, à inventer un nouveau langage. Lorsqu’ils ont vu le danger en face, les coups de pinceau dynamiques, ils ont aussi pu explorer de nouveaux territoires.
C’était incroyablement collaboratif et nous avons travaillé avec toute notre âme. J’aimerais discuter avec un neuroscientifique parce que ce qu’on a vécu est inexplicable, nous sommes allés vraiment loin. Nous nous sommes compris instantanément. Après ça, on était transformés.
Quelle est la prochaine étape pour vous ? Comment allez-vous faire pour aller plus loin ?
Je voudrais retourner à New York parce qu’il y a là-bas un état d’esprit différent de celui qu’on a en France. Je voudrais ouvrir un studio et continuer à faire des expérimentations musicales. Je veux continuer à faire travailler mes sens, apprendre à écouter une chanteuse d’opéra, un baryton, du free jazz, du baroque. Je veux que mes spectateurs soient surpris, comme avec un maître zen, lorsqu’on comprend soudainement quelque chose. Même si mon travail est abstrait – je ne veux vraiment pas forcer les gens à interpréter une idée, je veux seulement suggérer quelque chose qui peut être compris ou non. J’essaie de capter la face cachée des choses. J’ai véritablement envie de faire comprendre aux gens que nous ne devrions pas être effrayés pas l’instabilité parce que c’est l’essence même de la vie.