Polly Morgan est née en Angleterre mais c’est à Los Angeles qu’elle s’est établie en tant que directrice photographique, un métier auquel elle s'est destinée très jeune. Benjamine d’une fratrie de cinq enfants élevés à la campagne et nourris au fantastique, elle s’est familiarisée à la caméra quand une équipe de cinéastes partie réaliser un documentaire a croisé sa route. Très vite, elle est passée du statut d’étudiante à celui de membre de l’American Film Institute et a rejoint les rangs d’Hollywood. C’est elle qui a dirigé la photographie d’American Horror Story et Inception de Wally Pfister, film qui a par ailleurs remporté l’Oscar de la meilleure photographie. Reconnue pour son habilité à injecter de l’émotion dans chaque séquence et chaque plan, Polly est désormais à même de choisir les films pour lesquels elle prête sona rt et sa vision de la colorimétrie : des séries télévisées comme American Horror Story ou Call The Midwife, au cinéma indépendant avec The Intervention, un film de Clea Duvall, en passant par les clips et les publicités.
L’année dernière, Morgan a rejoint la prestigieuse British Society of Cinematographers qui encourage à l'excellence dans l'art de la prise de vue cinématographique et le top 10 Variety des directeurs de la photographie à suivre.
Comment définirais-tu ce que tu fais ?
Les directeurs de la photographie sont des conteurs. Ils créent des représentations visuelles de l’expérience humaine, quel que soit le récit qui s’y colle. En tant qu’artiste, mon but est d’aider le spectateur à se connecter émotionnellement aux scènes du film pour qu’il se sente investi et pas seulement diverti. Mon travail est de l'embarquer dans un voyage inconscient qui soutient et célèbre l’écriture du scénario, la vision du réalisateur et le jeu des acteurs. C’est un vrai processus collaboratif.
En tant que directrice de la photographie, j’ai l’impression d’appartenir à une sorte de secte – de faire partie d’une communauté de gens qui voient le monde d’une façon originale et singulière. Je m’inspire au quotidien de ce qui m’entoure et de mon vécu. Donc d’une certaine manière, je suis toujours au travail !
Qu’est-ce qui t’a donné envier de devenir directrice de la photographie ?
J’avais 13 ans quand une équipe de documentaristes de Channel 4 a utilisé notre ferme comme base de camp pour réaliser un documentaire sur le compositeur Edward Elgar, qui parcourait les champs pour trouver l’inspiration dans son art. C’était ma première expérience face à une équipe de tournage et tous m’ont laissé jeter un œil derrière la caméra – ils avaient même une grue, c’était une chouette expérience. C’est ce qui m’a mené à la direction photo, bien qu’à l’époque, je n’aie aucune idée de ce que cela signifiait.
J’adorais aller au cinéma quand j’étais petite. J’étais dyslexique donc les films et les images m’ont toujours plus parlé que le monde de l’écriture. Je les trouvais évocateurs, plein de sens. La caméra est devenue l’outil qui me permet de m’exprimer artistiquement et de raconter des histoires – la photographie est pleine de couleurs, de textures et de contrastes d’où je puise mon inspiration. Elle est inépuisable et je suis très chanceuse de baigner dedans.
Tu es arrivée dans le milieu du cinéma très tôt en apprenant sur le tas. Quels bénéfices en as-tu tiré ?
Quand j’ai commencé, les films étaient encore shootés sur pellicule et pour se faire un trou dans le milieu, mieux valait s’en sortir seule. Il y avait bien quelques écoles de cinéma mais je n’étais pas tellement au courant de leur existence à l’époque. C’était un monde très éloigné du mien. Ce que je voulais, c’était être sur le tournage, faire partie d’une équipe, jouer un rôle et participer au processus du film, relever des défis à chaque instant.
J’ai appris à faire partie d’une équipe et rencontré des personnalités riches et très différentes. C’est une expérience qui n’a pas de prix – tous ces mentors qui m’ont conseillé et inspiré – et je ne serais pas la personne que je suis aujourd’hui sans ça. Ces expériences m’ont permis de respecter à sa juste valeur chacun des acteurs et composants d’un film.
Mais je dois bien avouer que ça n’a pas été simple de trouver du travail, de vivre. C’était une bataille permanente. J’ai été fauchée la plus grande majorité de ma vie. Gagner de l’argent avec ce que j’aime faire me comble et m’émeut.
Quels sont les sens que tu mets le plus à profit dans ton travail ?
Le truc avec le cinéma, c’est qu’il apprend à regarder le monde différemment, d’ouvrir ses yeux à des détails que personne ou presque ne remarque : un homme faiblement éclairé dans les rues de Katmandou, les reflets d’un verre ou les faisceaux de lumière qui traversent la fumée d’un barbecue. Partout où il y a de la vie, il y a de l’art.
Les souvenirs m’inspirent également – des pans de ma vie entière ont façonné la personne que je suis et toutes sont des expériences que je définirais de sensuelles : ma mère qui me portait dans ses bras enfant, l’amour de mon petit ami, la musique que j’ai écouté. Voir le monde à travers le prisme des cinq sens m’a permis de me construire en tant que personne.