De manière évidente, Beth Ditto – la voix de velours et l’icône planétaire à l’origine de Gossip – est à Londres pour parler de son nouvel album solo et surtout, de sa nouvelle collection. Sereine et magistrale, Beth Ditto me reçoit drapée dans une des pièces de sa collection, une robe volutée, recouverte de cils imprimés. Elle est assise dans un très beau fauteuil d’un hôtel, d’où elle me parle, sans s’arrêter. Les mots et les éclats de rire s’échappent de sa bouche avant qu’on ait eu le temps d’en saisir le sens. Elle avoue. Parfois, elle parle et rit dans son sommeil. « Je ne sais pas être introvertie », plaisante-t-elle avec son accent prononcé de l’Arkansas. « Vraiment, j’ai essayé. Parfois je parle et je me dis à moi-même ‘mais tu parles encore ?’ Je m’épuise à m’entendre. »
Pour être tout à fait honnête, je pourrais écouter Beth Ditto parler toute la journée. Elle n’est jamais à court de calembours, de blagues ni de finesse. Ses déclarations brûlent d’éloquence et de désir – ceux qu’elle propage au monde depuis 2006 et son arrivée fracassante dans l’univers de la musique avec Standing In The Way Of Control et celui de la mode, qu’elle n’a pas tardé à rejoindre. Car en parallèle de sa carrière avec Gossip – qu’elle a prolongée avec l’album pop Joyful Noise – de ses multiples collaborations – avec Simian Mobile Disco, Jarvis Cocker et Debbie Harry – Beth s’apprête à partager l’année prochaine et à l’occasion de la sortie de son premier album solo, ses envolées solitaires électropop aux accents très british : « Je le sortirai sans doute en avril prochain, confie-t-elle. J’en suis fière mais je n’ai pas l’apanage du bon gout. » Pour justifier son auto-flagellation, elle raconte comment elle a du supplier son label pour qu’il retire Heavy Cross, le tube planétaire qui figurait sur l’album Music For Men, sorti en 2009. Le label a insisté, le single produit en Allemagne s’est retrouvé le top 10 pendant 27 semaines. « Il s’est plus vendu que Hoff ! Plus que Thriller ! Donc ce que j’en dis, c‘est que j’ai failli le détruire. Ne jamais laisser un artiste prendre ses propres décisions », souligne-t-elle, avec une pointe d’autodérision. Pourtant, Beth n’a pas l’air de stresser outre-mesure. Quand on lui parle de son futur album, sa confiance est toute retrouvée : « Je pense qu’il [l’album] est réussi, et différent. Même s’il reste du Gossip dedans. C’est en l’enregistrant que je m’en suis rendue compte. À quel point Gossip fait partie de ma vie. »
Confiante, Beth Ditto l’a toujours été sur son physique. En tout cas, depuis qu’elle s’est ouvertement exhibée nue en couverture des magazines NME et LOVE à l’apogée du succès de Gossip, avant de collaborer, en 2009, pour le Guardian. La star donnait alors ses conseils dans une colonne dédiée à ceux et celles qui souhaitaient se sentir mieux dans leur corps puis s’est empressée de créer une collection capsule chez Evans à destination des femmes rondes. Plus tôt cette année, elle lançait sa propre ligne de vêtements éponyme, afin d’offrir aux femmes qui ne rentrent pas dans un 34 ce à quoi elles n’avaient pas accès : des matières et des coupes de qualité.
Si sa première collection a rencontré un franc succès, la seconde était plus ciblée. « J’ai mis beaucoup de moi [dans cette collection],” explique-t-elle. Je n’aurais pas pu faire un truc auquel je ne crois pas, en mettant simplement mon nom sur l’étiquette. J’ai toujours voulu être impliquée. Pour la dernière collection, j’étais trop dedans, je n’avais pas assez de recul pour comprendre ce que je faisais. Cette fois-ci, c’est différent. J’ai eu à mes côtés quelqu’un à qui j’ai tout de suite fait confiance. »Cette personne, c’est son acolyte de toujours, le styliste Frederic Baldo (la collection a été pensée par Charles Jeffrey et shootée par la photographe Hannah Moon, avec des mannequins non-professionnels). “Nous avons travaillé ensemble dessus et elle a tout l’air d’avoir été faite par quelqu’un qui sait où il met les pieds. Je ne suis pas créatrice mais je sais à quoi je ressemble. » Quand on lui demande la qualité essentielle à toute personne qui souhaite créer sa propre marque aujourd’hui, elle répond, implacable : « Trouvez quelqu’un en qui vous croyez. Lisez beaucoup. Écoutez ceux qui savent ce qu’ils font. Apprenez les ficelles du métier avant de vous lancer. Moi j’ai tout fait à l’envers. »
Ditto est obsédée par les mots et joue avec comme un orateur grec. Elle les malmène et les brutalise à des fins personnelles. Elle prend un mot pour un autre, à dessein et dans le monde de Ditto, l’adjectif « flatteur » devient « flatulence », « amincissant » « avilissant » et « bien taillé » Taylor Swift quand il s’agit de définir les vêtements qu’elle porte. « J’aime changer le sens de ces mots, les décontextualiser. Ça me plait énormément. J’aime les mots. J’ai l’impression que personne ne saisit vraiment ce que le mot « flatteur » veut vraiment dire. Pour le sens commun, il rime avec amincissant. »
Ditto n’a aucune envie que les femmes se cachent. Qu’elles fassent profil bas et s’éloignent des couleurs sous prétexte que celles-ci ne mettent pas en valeur les rondeurs. À son image, Beth Ditto pense la mode comme elle pense la vie : rien ne sert de se cacher, il faut s’imposer, être fière et s’assumer. Dans ce sillon, Ditto met un point d’honneur à ce que le maquillage soit une arme d’émancipation : « Pour les femmes rondes, et parce que je suis queer, le maquillage est extrêmement important, révèle-t-elle, soudain très sérieuse. Le maquillage sublime la plupart d’entre nous, là où les fringues l’ont peu souvent fait. On s’est longtemps reposées sur le maquillage à défaut d’avoir d’autre chose. C’est un look à part entière. »
Quand on lui demande ce qu’elle pense de l’attitude générale à l’égard des femmes rondes, ces dix dernières années, Ditto est la première à reconnaître un changement radical : « L’attitude a changé, c’est indéniable. Je ne suis pas certaine que le podium ait changé mais les femmes rondes ont plus de place dans la pop culture, la mode. aux Etats-Unis aussi. j’ai tenté de l’expliquer à Evans, quand on a lancé notre première collection. Je voulais que Miss Piggy soit notre icône et qu’elle figure sur une chemise. Sauf qu’ils avaient peur qu’on blesse ou contrarie les clientes. Aujourd’hui, on ne se poserait plus la question. À l’époque, les rondeurs étaient tabou – on aurait pu croire qu’on prenait les femmes pour des cochonnes. » Beth Ditto ne compte pas s'arrêter là. Dans son univers, en perpétuel mouvement, les femmes ont toutes leur rôle à jouer pour rendre le futur plus beau, ouvert et fier.