"Le parfum détaché de la peau qui le porte a la même odeur que les fleurs fanées."
Faites un sondage à main levée, questionnez vos collègues et textez vos meilleurs amis – est-ce qu’un seul d’entre eux accepterait de dormir avec votre t-shirt sale sous son oreiller ? Toujours à main levée, j’estime le nombre de réponses positives à un chiffre proche du néant. Mais c’est un fait presque incontesté : l’amour et l’odeur sont inextricables, indissociables, liés depuis l’éternité. On ne compte plus les anecdotes et les histoires d’oreillers, de sweatshirts et autres chemises vaporisés du parfum de l’être aimé.
En réalité, on sait tous et toutes que ce n’est pas le parfum, mais la personne derrière qui rend cette odeur si magique, si délectable. Le parfum détaché de la peau qui le porte a la même odeur que les fleurs fanées. L’amour fait aimer les odeurs les plus nocives, les effluves de tabac et de whisky qui nous écoeurent lorsqu’elles émanent d’un inconnu un peu éméché qui vous lorgne et vous souffle des mots vaseux à l’oreille dans un bar.
Quand je me suis séparée de mon amoureux il y a quelques mois, j’ai fouillé dans le panier de linge sale avant d’en extirper une chemise sale que j’ai portée toute la nuit. C’était la belle époque : je passais mes journées, mes nuits à pleurer, à me dire que jamais, je ne pourrais imaginer ma vie sans lui. Étrangement, lorsque ses affaires ont déserté la maison, que les photos ont été mises en boites et que mes meilleurs amis et les bouteilles de vin se sont succédés, j’ai fini par me dire que c’était sans doute très bien comme ça. J’ai fait un grand ménage de printemps, lavé et relavé le peu de choses qui sentaient encore lui et puis un jour, j’ai téléchargé une certaine application de rencontre – enfin.
C’est fascinant, et un peu flippant aussi, de prendre du plaisir à faire : il est habillé comme un clown ? Next. Il refuse de dater des filles (comme moi) qui ont une tendance à la schizophrénie ? Next. Il a cité les mots « barbe », « gin » et « chatons » au moins à trois reprises dans sa description ? D’accord, je l’ai : tu as découvert le gin à 25 ans, tu aimes penser qu’être un hipster est encore un truc cool et tu as remarqué à quel point les femmes aiment les chatons. Bravo. NEXT.
Après 5 minutes d’échanges de cordialité, il te demande ce que tu portes la nuit dans ton lit et ose te traiter de nonne quand tu refuses de lui envoyer un Snap de vous à moitié nue pour satisfaire ses désirs sexuels. Les applications de rencontre ressemblent à s’y méprendre, à des chapiteaux abritant les clowns tristes du monde entier. C’est facile de se moquer des autres mais quand, par miracle, survient un match qui vous parle, vous charme, et potentiellement, vous plait, c’est une autre paire de manches. Par écrans interposés, difficile en effet, de se convaincre que l’autre va nous satisfaire : quelle est l’intonation de sa voix, a-t-il un accent et est-ce que je vais aimer son rire ? Mais surtout, surtout, vais-je tomber amoureuse de son odeur ?
Plutôt que de juger quelqu’un à son apparence, à son style vestimentaire ou à son choix de photos de profil ou ses fautes d’orthographe, il suffit, pour cette option, de fermer les yeux et de déployer ses sens
Les odeurs de déo, de lessive, du métro, du dernier repas ingurgité et du parfum pschitté le matin mêlées aux phéromones ont un étrange pouvoir sur l’être épris d’amour. Si vous n’avez pas encore entendu parler des phéromones parties, soit l’exact inverse des applications de rencontre sur smartphone et l’alternative la plus sensorielle de ces dernières années, sachez que le romantisme est loin d’être mort.
Pour ceux qui ne sont pas au courant, ces soirées importées de l’Angleterre consistent à porter un t-shirt trois nuits durant, à le trainer (sans le laver, c’est important) à une soirée phéromones à l’occasion de laquelle chaque participant est libre de plonger son nez dedans – histoire de flairer l’amour, littéralement. Un peu comme les cochons et les truffes.
Le match se fait non plus par écrans interposés mais par odeurs interposées. Plutôt que de juger quelqu’un à son apparence, à son style vestimentaire ou à son choix de photos de profil ou ses fautes d’orthographe, il suffit, pour cette option, de fermer les yeux et de déployer ses sens. Comme si l’autre était une musique et qu’il suffisait de l’écouter. Un peu de douceur dans ce monde de brutes.
Si seulement nous avions le pouvoir de flairer l’amour ou le drame sentimental par écrans interposés. On ne passerait pas son après-midi à chercher la phrase juste, le smiley le plus adapté à notre humeur, notre âme, notre passé. On ne chercherait pas à rentrer dans des cases, à prétendre, à se faire passer pour une globe-trotteuse bouddhiste quand on passe son temps à boire du vin sur son canapé, les doigts de pied en éventail. Sentir, c’est la moitié d’aimer. Plus l’odeur est paradoxale et familière, plus elle nous touche.
Ce n’est qu’une fois l’odeur dissipée, disparue, affadie de l’être aimé chez soi qu’on prend conscience de ce qu’est réellement l’amour. Quand le musc, le curry, la transpiration et le reste de parfum nous manquent, terriblement. On ne passerait pas son temps à courir après l’odeur qui ferait fuir la moitié de la planète ni à se morfondre enveloppée dans du linge sale si ce n’était pas par amour – et puisque ce n’est pas mais alors pas du tout par fierté.