Chanteuse, compositrice, interprète : Maggie Rogers, 22 ans, n’a pas fini d’enchanter la pop. L’année dernière, alors étudiante à l’université de New York, la jeune femme croisait le chemin de Pharrell Williams dans le cadre d’une masterclass. Elle lui fait écouter son titre, « Alaska ». Profondément ému, Pharrell Williams s'exclame après écoute : « Je n’ai jamais entendu un truc pareil. C’est une drogue pour moi. » Depuis, Rogers est entrée dans la légende et son nouvel EP Now That The Light Is Fading n’a fait qu’ajouter un peu plus de splendeur au mythe qui l’entoure. La jeune prodige y joue une folk cosmique et pop, portée par des sons puisés directement dans la nature. Rencontre.
Tu penses qu’un jour on t’interviewera sans mentionner Pharrell Williams?
J’espère ! Enfin j’espère pouvoir créer une œuvre musicale qui me permette de parler en mon nom. Mais peut-être que c’est impossible.
Qu’est-ce qui selon toi, l’a touché dans ton titre Alaska ?
Vraiment, je n’en sais rien. C’est toujours une histoire de subjectivité. Je suis flattée qu’il l’ait aimé mais il aurait tout aussi bien pu le haïr. C’est ma musique, elle me rend heureuse et si d’autres que moi l’apprécient, tant mieux. Sinon, ça me va aussi. C’est ça, la musique.
Il y a une vraie mythologie autour de toi depuis cette collaboration. Comment le vis-tu ?
Je pense que c’est plus excitant pour toi que ça ne l’est pour moi. Je n’ai ni choisi, ni orchestré ce qui m’est arrivé. Ça intéresse évidemment les médias. Moi ça m’est arrivé, je le vis et le vois différemment.
Est-ce que tu t’intéresses aux mythes et rumeurs qui entourent certains artistes ?
Pas du tout. Je m’intéresse aux histoires qui ont du sens, à la vérité, aux vérités. Au fond, composer de la musique et faire du journalisme, c’est un peu la même chose – l’un privilégie le vers, l’autre la prose. Chacun a son histoire à raconter et la musique est un excellent médium pour y parvenir. Tout ce que j’écris est directement lié à ce que je vois et vis, c’est une sorte de mémoire auditive. Ce qui m’intéresse chez les musiciens c’est leur histoire, au-delà des alter-ego et des mythes.
Tout ce que j’écris est directement lié à ce que je vois et vis, c’est une sorte de mémoire auditive.
Mais te concernant, ce sont des choses qui sont réellement arrivées. Ce n’est pas une rumeur…
Mais je trouve quand même que la presse me dépeint à travers le seul prisme de Pharrell en s’autorisant quelques mensonges – par exemple, Pharrell n’a jamais pleuré en m’écoutant. Ça faisait une bonne histoire à raconter et les médias s’en sont donnés à cœur joie. Sauf que ce n’est pas vrai.
Ça nourrit également l’idée selon laquelle il aurait participé à la composition de ton titre… Oui, exactement. Sauf que c’est faux : c’est ma musique. En l’occurrence, c’était mes devoirs. Je n’avais absolument aucune idée que Pharrell allait venir, qu’il y aurait des caméramans ou que la vidéo tournerait sur internet.
On devrait peut-être recréer un mythe autour de la façon dont tu t’es émancipée de tout ça ?
(Rires) Je ne veux pas du tout renier ce qui est arrivé. C’était magique. Je comprends complètement que les gens aient envie d’en parler, parce que c’est comme ça qu’ils m’ont connue. Ça fait sens, bien sûr. C’est la première page du livre pour beaucoup de gens, même si ce n’est pas ma première page à moi. Mais bon, je n’ai pas à me plaindre d’être « la fille Pharrell ». J’ai le plus grand respect du monde pour lui et je le trouve excessivement inspirant.
Le clip réalisé pour ton titre « Alaska » te présente comme une personne plus ancrée dans la nature que dans la technologie, les réseaux sociaux etc. Est-ce vrai ?
Complètement, oui. J’ai grandi à la campagne, dans le Maryland. Je n’ai connu internet qu’en mettant les pieds à la fac. Je n’ai jamais vraiment possédé une télévision et j’ai eu mon premier téléphone portable très tard.
Qu’est-ce que tu faisais pour t’occuper du coup ?
Je me baladais, je jouais à des jeux. Aux cartes surtout. Je lisais et je jouais de la musique.
As-tu composé ton EP Now That The Light Is Fading en ville ?
Ouais.
Quelle odeur te rappelle ta ville natale ?
L'odeur des marécages, l'eau salée qui remonte. Une épice qu'on appelle Old Bay. L'odeur des conifères. L'herbe fraîchement coupée, aussi. Ma mère faisait de la poule au pot, donc j'ajouterais l'odeur de sa cuisine.
Et Brooklyn?
(Rires) La pizza d'hier soir. New York sent un peu l'urine, sinon.
Tu arrives à être créative en ville ? ?
Oui, bien que ce soit tout à fait différent de ce que je ressens en pleine nature.
As-tu composé ton EP Now That The Light Is Fading en ville ?
Ouais.
C’est étonnant parce qu’il est très aéré, aérien dans son ensemble.
J’ai utilisé de nombreux samples naturels dans mes chansons. C’est une manière d’aérer ma musique pour qu’elle n’ait pas l’air d’être calquée sur les formules de la pop actuelle. Je voulais faire une pop plus humaine.
Tu as dit que tu composais tes chansons debout, c’est vrai ?
Non, c’est faux.
Ah, c’est encore un mythe ?
On a déformé mes propos un grand nombre de fois. J’ai effectivement composé des sons debout, d’autres fois non. Que j’ai écrit les paroles assise ou debout, ça n’a pas tellement d’importance à mes yeux.
Est-ce que les odeurs te ramènent à des souvenirs, t’évoquent des personnes ?
Tout à fait. L’odorat est le sens qui nous relie le plus vivement à notre passé. Il est très difficile de décrire l’odeur des gens mais le parfum de la chemise d’un ancien amoureux ou celui de ma mère, par exemple, ont un sens et une histoire bien précises.
Est-ce que l’odorat est un sens qui booste ta créativité ?
C’est un point de départ qui parfois, m'inspire. Je suis quelqu’un de très visuel, mon écriture l’est aussi. Je m’imagine des scènes. Pour « Alaska » par exemple, j’ai dédié le premier verset à une description de l’espace dans lequel je me trouve. C’est un des formats narratifs que je privilégie dont il peut m’arriver de réfléchir à l’odeur qu’aurait l’espace que j’imagine et que je décris mais ça n’influe pas directement mon processus créatif.
Quelle est l’odeur de Londres ?
Je n’y ai pas passé assez de temps. Je dirais qu'elle sent la chambre d’hôtel. Chaque fois que je vais à Londres, je me retrouve à regarder le foot avec une pinte donc j’imagine que c’est la première image que j’ai de Londres : la bière ! (rires) Et un pub humide.
Parle-moi un peu de ta synesthésie. En quoi influe-t-elle sur ta façon de penser et composer la musique ?
J’associe presque systématiquement la musique à des couleurs. C’est un phénomène que je n’ai compris qu’à l’école, lorsqu’on a dû étudier les domaines de l’ingénierie et de la production. Pour mes devoirs, j’associais chaque son à une couleur, une teinte et parfois, j’y ajoutais des diagrammes. Les profs me disaient toujours ‘non, c’est pas comme ça que ça marche'. J’ai dû m’inventer un nouveau langage pour décrire ces sensations.
Plus tu parviens à puiser dans tes émotions, plus tu es capable de les transmettre en délivrant un message universel.
Est-ce que tu penses à ceux qui vont t’écouter, lorsque tu composes ?
Non, je compose en pensant à moi, mon vécu, mon travail. Björk a dit ce truc super un jour : « plus tu es égoïste dans ton travail, plus tu donnes aux autres ». Plus tu parviens à puiser dans tes émotions, plus tu es capable de les transmettre en délivrant un message universel. Enfin je fais aussi de la musique pour la jouer aux autres sur scène bien sûr, mais je l’ai aussi fait pour moi. Pendant très longtemps, j’ai fait de la folk très timide et un jour, j’ai décidé que je voulais me faire entendre. Mes concerts avaient un petit côté plan-plan et j’ai voulu donner un concert auquel j’aurais voulu assister un samedi soir.
Quelle est ta pièce, ton vêtement fétiche ?
C’est une très bonne question. Là, telle que tu me vois, je porte tous mes vêtements préférés. J’ai mon Levi’s, mon plus vieil allié et des bottes que je porte tous les jours depuis trois ans maintenant. Tous mes bijoux appartiennent à mes amis et je les porte depuis très longtemps. Mon collier est fait à parti d’os d’élans que j’ai trouvés lors d’un trip en Oregon. J’aime le bruit qu’ils font, leur texture et leur force.
Si tu devais rester enfermée dans un chalet pendant une durée indéterminée, quel livre, quel album et quel film embarquerais-tu avec toi ?
En ce moment je lis À l’est d’Eden de Steinbeck, je ne l’ai pas fini donc je l’emmènerais bien. Je regarde peu de films, je peux prendre deux albums à la place ? Blue de Joni Mitchell pour prendre mon temps, réfléchir. Et Our Love de Caribou, pour danser avec moi-même.