La première fois que j’ai rencontré Theresa Ikoko, c’était à l’école, à l’occasion d’un cours de scénario. Un grand scénariste renommé donnait le cours et nous révélait la formule magique pour raconter de belles histoires. La plupart d’entre nous écoutaient et notaient avec ferveur la moindre de ses paroles. Theresa, assise près de moi, a soulevé une mèche argent de ses cheveux avant de s’exclamer : ‘Il y a plein de façons de raconter une histoire’.
Sa première pièce de théâtre, Girls est aussi drôle qu’éloquente. Elle met en scène trois femmes – Haleema, Ruhab et Tisana – qui sont enlevées et chassées de leur village natal par des extrémistes islamiques. Entre la vie et l’angoisse de la mort, elles parlent sexe, crushs et Kim Kardashian ensemble. ‘Pourquoi tout le monde est tellement obsédé par les hashtags ?’ s’interrogent-elles. ‘Qu’est-ce qu’on peut bien faire sur terre avec un hashtag ? Ça peut nous aider à sortir de là ?’
Nous l’avons rencontrée entre deux représentations de Girls.
Qu’est-ce que tu fais quand tu n’écris pas ?
Je travaille beaucoup avec la jeunesse qui est laissée de côté, j’essaie de comprendre ce qui contribue à accentuer les facteurs liés à la criminalité et comment ces phénomènes conduisent à la solitude et le rejet de la société.
Tu travailles avec des gangs criminels, je me trompe ?
Non, c’est vrai – mais je pense qu’il faut se pencher sur la manière dont on emploie ce mot « gang » et en quoi il devient le symptôme de nombreux problèmes. Le gang devrait être considéré comme un symptôme, lui aussi. On regarde les gangs comme une cause alors que c’est en réalité une conséquence. Les kids qui rejoignent les gangs ont souvent quitté ou abandonné l’école, cherchaient une échappatoire à leur quotidien, comme je l’ai fait
[Theresa a grandi avec ses huit frères et sœurs à Hackney, avec une mère célibataire] en voyant bien l’écart gigantesque entre eux et les autres. Alors bien sûr, la violence décime les communautés, c‘est un fait mais il faut aller chercher plus loin que dans les poncifs qu’on a l’habitude d’entendre. Pourquoi ces kids ont choisi ce mode de vie, de communication par exemple. Je trouve ça finalement assez choquant qu’on tourne le dos à ces communautés.
Qu’est-ce qui t’a poussé à rencontrer ces communautés ?
Je viens d’une famille très pauvre, mais l’éducation n’était pas une option. J’ai étudié la psychologie et quand j’ai commencé à regarder les formulaires d’évaluation des prisonniers, je me suis instinctivement sentie proche d’eux. J’ai compris qu’ils venaient du même monde que moi. J’ai travaillé dans les prisons et mis en scène une pièce sur l’absence du père. Je me souviens qu’un homme m’a raconté qu’une fois, en marchant dans les rues, il a cru reconnaître dans un inconnu, le frère qu’il n’avait jamais connu. Les détenus ont écrit une pièce et j’ai commencé à me dire que je pouvais faire bouger les lignes ! J’ai compris que si je ne pouvais pas changer le monde à moi toute seule, je pouvais tenter de faire changer les gens d’avis sur certaines choses, en les touchant un à un.
Comment s’est faite ta rencontre avec le théâtre ?
C’était le moment où les prisons commençaient à devenir privées. Il n’y avait plus d’espoir, ni pour l’espoir, ni pour le futur. Lorsque j’ai commencé mes sessions théâtre là-bas, les prisonniers étaient tristes, moroses, toujours négatifs. J’ai écrit ma première pièce, Normal, alors que je rentrais en voiture de Feltham, avec l’image d’un certain garçon en tête. Il me disait, ‘Je vais me flinguer’. Une fois rentrée chez moi, j’ai écrit ce qui aurait pu se passer.
Et très vite après que Normal soit fini, je me suis mise à écrire de manière frénétique – sur le manque de représentation des femmes dans les médias, et surtout, de celels de couleur. Et là encore, une image venait dans ma tête, celle d’une femme. Cette femme est devenue mon personnage, Haleema.J’avais besoin de passer du temps avec cette image de femme dans ma tête, ça m’a fait beaucoup de bien d’y penser. Et j’ai compris que c’était ma manière d’écrire.
Qu’attends-tu du futur ?
Il me terrifie. Si jamais je me réveillais sans jamais plus pouvoir écrire ? Si ma curiosité du monde s’effaçait demain ? Peut-être que cette partie de moi qui veut comprendre le monde va s’estomper au fur et à mesure que je vieillis ? En ce moment, je veux écrire une pièce musicale. Je ne sais pas combien de femmes de couleur ont écrit de comédies musicales. Peut-être que je serai la première.
Quel a été le déclic ?
La nuit dernière, trois jeunes femmes noires sont venues me voir. L’une d’entre elles m’a dit qu’elle était écrivain. Elle m’a époustouflé. J’étais tellement heureuse qu’elle se définisse comme une écrivain. Je me suis dit que l’art pouvait changer le monde.
Girls est joué au Soho Theatre du 27 Septembre au 29 Octobre