La peau, dans ce qu'elle a de plus poétique et trivial, a toujours intrigué Marilou : sa texture, son irrégularité, son odeur et les traces indélébiles que le temps lui impose ont, pour la jeune artiste de 24 ans, tout à voir avec la surface du film photographique. Ces ressemblances entre le corps de la femme et le corps de l'image sont au coeur de son processus créatif. La pratique de l'argentique, la part d'aléatoire qu'elle renferme ainsi que les multiples altérations que Marilou réalise dans son laboratoire, redéfinissent les contours de la photographie et et du corps féminin – tout en aspérités.
Le toucher est essentiel à mon processus photographique
J’utilise uniquement l'argentique car je suis obnubilée par ses pouvoirs infinis d’expérimentation. Tous mes projets traitent d’une manière ou d’une autre de la surface, de la matière de l’image, du temps, et de sa mutation. Ils portent la trace de mon action manuelle à leurs surfaces : modifications de procédés chimiques sur Polaroid, triturations des tirages argentiques, altérations sur négatifs… Mon processus permet de mettre en place une double mémoire : celle d’un instant photographié et celle de l’action de ma main sur l’image. Je ressens une sensation d’excitation et de liberté lorsque je travaille mes photographies, car rien n’est jamais défini et je ne sais jamais à quoi ressembleront mes images après les modifications que je leur impose. Il y a donc énormément d’aléatoire dans mon processus créatif, beaucoup de surprises et parfois, inévitablement, des déceptions.
Les couleurs et les textures de mes images témoignent de ma volonté d’offrir une nouvelle vision du corps
Modifier les processus chimiques de révélation de l’image durant le développement fait aussi advenir, au-delà des effets de textures, des couleurs qui n’étaient pas présentes lors de la prise de vue. Elles sont souvent primaires et très vives – du rouge, du bleu, du jaune, – témoignent d’un chamboulement dans le processus, et apportent au référent corps une nouvelle dimension. La peau photographiée prend des formes et des couleurs nouvelles, irréelles, et participent à dévoiler une nouvelle vision du corps.
La contemplation du corps de la femme, et particulièrement de sa peau, est ma première source d’inspiration
Dans mon projet Mu(es)tations, je cherche à mettre en évidence la manière dont la surface photographique peut devenir une métaphore de la peau. En mettant la surface photographique et la surface de la peau en échos, je cherche à comprendre ce qu'elles peuvent dévoiler liées l'une à l'autre. J’ai toujours observé le corps des femmes comme une oeuvre d’art. Sans aucune attirance sexuelle et avec contemplation. Le corps féminin est ma première source d’inspiration car il dispose de formes, de lignes qui créent une réelle dynamique visuelle. En tant qu’artiste, je souhaite révéler la poésie qui émane de ce corps et reconsidérer le nu comme quelque chose qui viendrait troubler notre vision : révéler la femme autrement et comme je la vois moi.
L’odeur si particulière du laboratoire m’accompagne dans toutes mes créations
Mon univers créatif m’offre une sensation olfactive singulière : un vague mélange de chimie et de vinaigre. L’univers du laboratoire de photographie argentique est un monde à part. C’est un espace hors du temps, où je peux me laisse divaguer et dans lequel je suis hors d’atteinte du monde extérieur. Ça peut paraitre étrange, mais cette odeur m’est particulièrement rassurante.
Lou Reed, le héros qui traverse les générations musicales
Si je devais citer une bande-son qui m’inspire, ce serait l’album Rétro de Lou Reed. Dans le labo, je n’ai pas le droit à la lumière, je n’ai pas internet et pas de réseau. J’ai donc ressorti la bonne vieille chaine hi-fi de mon enfance et j’ai récupéré tous les vieux albums de mon père. Cet album de Lou Reed tourne en boucle, et je ne m’en lasse pas.