Que reste-t-il à un groupe qui frise la crise de nerfs ou frôle la rupture ? Warpaint a choisi de faire un break, comme en amour. Pour revenir plus fort que jamais. Après une année consacrée aux projets solos et à diverses collaborations, les filles de Warpaint se sont enfin réunies en janvier pour composer Heads Up, un troisième album studio addictif, sensuel et brut. L’instrumentale funky, la voix rauque d’Emily Kokal et les notes apaisées de Theresa Wayman jonglent avec la basse de Jenny Lindberg et les percussions enivrantes de Stella Mozgawa. Elles sont allées jusqu'au bout de leurs rêves, coûte que coûte. Et s'il se demande encore comment cet album électro, pop et R'n'B vivra sur scène, le girls band de Los Angeles s'est confié à The Fifth Sense : cet album les a sauvées. Littéralement. Il met en lumière, à travers ses chansons intimistes, les émotions contradictoires qu'ont vécues les filles séparément – la joie, la tristesse, la paranoia, les peines de coeur et la solidarité qu'elles ont ressenti en se réunissant. Rencontre avec celles qui croient encore à la force de la solidarité féminine.
"La manière d'interpréter une chanson avec émotion, distance ou affect donne à la musique un gout tout à fait différent."
Emily Kolkal, voix
Je me suis mise à faire la musique que j'aime. Et cette découverte a été cathartique pour moi. Après notre dernière tournée, nous étions toutes épuisées – pour nous retrouver, croire à nouveau à la force de notre amitié et de notre collaboration, il fallait qu’on soit fières de notre musique. Certaines chansons que j’ai co-écrites dans cet album sont intimes et font référence à ma vie personnelle. The Stall raconte l’histoire d’une amie proche qui a vécu l’horreur et s’est protégée comme elle pouvait des regards extérieurs en se créant une carapace. Elle était vulnérable en apparence mais recelait d’une force hors du commun. J’ai écrit les paroles de cette chanson comme si j'écrivais la page d'un journal intime. Quand j’ai commencé à la chanter, j’ai réalisé que ces mots s’appliquaient aussi à ma vie à moi, mes émotions. Lors de l’enregistrement, j’ai dû m’arrêter plusieurs fois pour retenir mes larmes. Quelques chansons ont un lien très fort avec notre vie à toutes. C’est le cas de Don’t Let Go. Jen voulait qu’on la chante ensemble. L’acte de chanter à plusieurs bouleverse et métamorphose l’idée qu’on se fait d’une chanson au départ. La manière dont on les interprète avec émotion, distance ou affect, ajoute à notre musique un gout tout à fait différent.
"Notre musique est aujourd’hui en phase avec le message qu’on veut transmettre au monde : sois toi-même, sois tolérant et surtout exprime-toi."
Theresa Wayman, guitare
Notre dernière tournée d’un an et demi a failli mettre fin à notre amitié et notre projet. Nous étions épuisées et on commençait à ne plus se supporter les unes les autres. Donc chacune est partie de son côté. Nous avons toutes travaillé sur l’album. Ensuite, on s’est retrouvées avec nos bandes démo dans le studio d ‘enregistrement. Étrangement, aucune n’a dû se justifier ni expliquer le sens de sa chanson. Instinctivement, nous savions. By Your Side revient sur les émotions contradictoires qui m’ont traversée pendant notre break et le plaisir que j’ai eu à les retrouver. Nous étions pleines de gratitude et d’amour à l’égard du groupe – dans le studio, on s’est arrangées pour trouver des surnoms aux chansons – Dre, par exemple, n’est pas une chanson sur Dr. Dre mais une chanson qui nous évoque Dr. Dre. Je n’ai jamais été aussi excitée à l’idée de jouer notre album sur scène. Nous avons attendu des années pour accepter d’écrire ce genre de chansons. Nous les avons chantées sous la douche des mois durant. Nous nous sommes enfermées pour les peaufiner, les répéter. Le monde extérieur est de plus en plus hostile. Je pense que nous avions besoin de créer des chansons qui nous ressemblent, nous aident à nous évader, à transcender le quotidien. Notre musique est aujourd’hui à l’image du message qu’on veut transmettre : sois toi-même, sois tolérante et exprime toi. Les petits soucis du quotidien, familiaux, amoureux, qu’importe, sont bien réels. Nous en parlons pour conjurer le stress et l’ennui du quotidien.
"Je suis sûre qu'on parviendra à prendre les choses comme elles viennent sur scène, avec le sourire."
Jenny Lee Lindberg, basse
Il fallait qu’on s’éloigne. C’était une étape nécessaire à la renaissance de Warpaint. Il fallait qu’on s‘exprime avec plus d’intégrité, de profondeur et de sincérité. Lorsqu’on s’est retrouvées, on était plus disponibles, plus ouvertes aux unes et aux autres. On s’est confiées, concertées pour intégrer chacune de nos expériences à l’album. Pour la première fois, j’ai senti que ma voix n’était pas une fin en soi. Que je n’avais plus à batailler pour que ma voix délivre un message universel. J’ai appris à prendre du recul, à me mettre en retrait pour laisser parler les autres. il faut choisir ses batailles. Tout s’est fait instinctivement, naturellement entre nous. C’était une suite logique pour Warpaint en quelque sorte. Personne n’a envie de trahir son intégrité artistique. Entre nous, ça a été très clair. S’il m’est arrivé d’avoir des idées qui ne parlaient pas à tout le monde autour et j’acceptais qu’elles ne figurent pas sur l’album. Avec humilité. Chaque séance en studio était comme une bouffée d’air frais – j’avais enregistré, l’année d’avant, mon album solo. J’étais seule à tout faire, mais la pression de tout mon entourage à exorciser. C’était très dur. Cet album de réunification reste mon meilleur souvenir en studio. Nos émotions s’accordaient à l’image d’un orchestre. Sans doute car nous n’avions plus le choix que d’être sincères et d’aller vite. On s’est dit, d’un accord tacite, que la première impression serait la bonne et qu’elle dicterait notre album. Alors qu’on enregistrait sur un BPM plus rapide qu’à l’habitude, je me rappelle m’être dit : “Wow, on passe à la vitesse supérieure !” et soudain, la peur m’a envahi, “que penseront les gens si notre live n’est pas à la hauteur de l’enregistrement“ ? Alors, ça fout quand même un peu les jetons. "Je suis sûre qu'on parviendra à prendre les choses comme elles viennent sur scène, avec le sourire.
"Sur scène, il me faudrait 5 ou 6 personnes pour jouer les différentes strates simultanément."
Stella Mozgawa, batterie
Pour la première fois, nous avons vraiment suivi notre instinct. Du début à la fin. Notre défi, maintenant, est de réussir à faire vivre ces chansons sur scène. J’ai beaucoup travaillé sur mon ordinateur et ma boite à rythme. Sur scène, il me faudrait 5 ou 6 personnes pour jouer les différentes strates simultanément. C’est donc un grand grand challenge ! On n’a pas ajouté une palette électronique à Warpaint pour se plier aux règles du classique-son-dark-et-cool-de-LA. Quand on a fait écouter New Song aux gens, certains ont franchement grimacé. Ils nous ont dit : “Le son est affreux, ça ne vous ressemble pas du tout”, mais d’autres ont accepté le voyage et nous ont remerciés de les avoir emmené dans ce territoire là. Il n’y a plus d’argent dans l’industrie de la musique. C’est complètement absurde de nous avoir accusées de vouloir faire du fric avec cette chanson. On fait la musique qu’on aime. Des chansons auxquelles on croit. Autant le faire puisque tout est voué à ne pas être rentable. Je pense que la plupart des groupes actuels veulent juste se faire kiffer et faire kiffer les autres. C’est tout ce qu’il nous reste à faire.