Tabitha Denholm ne recule devant rien. Depuis qu’elle a lancé Women Under The Influence, la communauté – dévouée à révéler le talent des femmes, toutes générations confondues – essaie de mettre en lumière le nombre infini de réalisatrices dont l’influence mérite qu’on s’y attarde. Même si le ratio homme-femme au sein de l’industrie cinématographique reste déséquilibré, WUTI est une alternative salvatrice et bénéfique pour toutes celles et ceux qui, comme Tabitha, croient à la diversité des points de vue dans le cinéma et la création contemporains.
Pour en savoir plus, vous pouvez lire l’interview de la fondatrice Tabitha ci-dessous et regarder l’interview exclusive de Chloé Sevigny et Natasha Lyonne à propos de leurs expériences en tant que réalisatrices et l’influence d’autres réalisatrices sur leur carrière.
Tabitha ! Quel a été l’élément déclencheur du projet Women Under The Influence ?
J’ai vu un documentaire sur Frances Marion, une femme très inspirante et l’une des pionnières de Hollywood. Les femmes réalisaient, écrivaient et détenaient des studios – tout ce qu’on pouvait imaginer dans les années 1920 – mais personne n’a jamais entendu parler de Frances Marion alors qu’elle a écrit près de 200 films, comme Le Champion par exemple. Elle a été la première scénariste à remporter deux Oscars. Tout ça m’a donné envie de dire et raconter le parcours des femmes qui réalisent, afin de renverser l’idée reçue que les femmes ne peuvent occuper qu’un certain type de fonction. Le manque de visibilité dont les femmes sont victimes n’aide pas à se faire une idée juste de la place qu’elles occupent dans l’industrie. D’autre part, cela force les réalisatrices à bosser deus fois plus dur pour obtenir du boulot et des financements ! La visibilité encourage plus de jeunes femmes à exercer ce métier. Dans une société où la majorité de la population (les femmes) voit continuellement sa vie interprétée à travers un seul prisme (celui des hommes), on ne peut qu’avoir une vision erronée du monde. Il existe des centaines de films et scripts réalisés et écrits par de grandes femmes qui ont eu besoin d’en faire deux fois plus pour se faire entendre et je suis heureuse de pouvoir les partager au monde aujourd’hui ! Le commentaire qui revient le plus souvent lorsque je parle du projet c’est « Tu ne vas pas te retrouver à court de réalisatrices ? Il en existe combien ? 6 ou 7 maximum ? ». Ce genre de commentaires me prouvent que je fais du bon boulot et que la valorisation du travail des femmes est plus que jamais nécessaire.
Ton projet est actuellement une série vidéo. Va-t-il le rester ? As-tu d’autres projets en cours ?
C’est toujours une série, on passera à une par mois l’an prochain avec Neuehouse à Hollywood et on fait beaucoup de collaborations avec des amis comme MUBI. C’est dur de retranscrire exactement l’énergie qui se déploie dans la réalité ! Mais je crois que j’ai toujours voulu faire une série vidéo. J’aime regarder les femmes, parler de leur travail – autrement que dans le brouhaha des festivals et sans qu’elles aient à se défendre dans la catégorie « femmes réalisatrices ». Je préfère qu’elles parlent librement, sans contrainte.
Quels sont les films qui ont changé ta vie ?
Il y a eu différents moments de ma vie où j’ai vu des films super réalisés par des femmes et je me suis rendue compte que je réagissais très différemment à chacun d’entre eux. C’était comme la sensation de pouvoir respirer profondément et se relaxer parce qu’on avait la possibilité de ne pas les regarder à travers un prisme. Nous nous sommes tellement habitué au divertissement, où les femmes ne sont pas réellement ce qu’elles sont – l’amoureuse romantique, la bombe sexuelle, la mère, etc. Comme dans la plupart des films hollywoodiens, les femmes ont l’air de ces femmes mais elles ne se reconnaissent pas en elles.
Recherche Suzanne désespérément était le premier. Pour la toute première fois de ma vie, j’ai découvert qu’une femme pouvait être le personnage principal d’un film et s’en sortir seule. Elle réussit et n’a pas à mourir pour conjurer sa force. C’est un film drôle, parfaitement iconoclaste, complètement punk. Ce personnage féminin a longtemps été mon idole. A tel point qu’en débarquant à New York, j’ai couru jusqu’au magasin dans lequel elle achète sa veste. Et cette année, j’ai eu l’immense plaisir de rencontrer sa réalisatrice, Susan Seidelman !
High Art en est un autre. Il ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Je n’avais jamais rien vu de pareil. Ça m’est apparu comme une évidence et j’ai découvert le plaisir que procure la vision d’un personnage féminin dans lequel on peut se retrouver.
Morvern Callar m’a fait le même effet. Si l’intrigue n’est pas déroutante, la manière dont Lynne Ramsay et Samantha Morton parviennent à transmettre avec beaucoup de justesse un message universel à l’intention de toutes les femmes m’impressionne. Le film exhorte à se reconnecter avec ses émotions les plus pures et les plus enfouies – un parti pris difficilement transposable dans l’écriture et qui trouve tout son sens cinématographique. Voir ce film, c’est vivre l’expérience qu’on a toutes vécues en tant que femme. C’est une invitation à l’introspection féminine.
As-tu constaté un réel changement dans l’industrie récemment ?
Les statistiques sont toujours assez terrifiantes – surtout en ce qui concerne les grands studios, un peu trop frileux pour réagir ! En revanche, on peut se réjouir que des studios aussi mainstream que Lakeshore et Ava Duverney ou des actrices comme Reese Witherspoon offrent aux femmes du milieu de nouvelles alternatives et propositions. C’est en s’exprimant haut et fort qu’on parviendra vraiment à faire bouger les choses. Il nous reste beaucoup à faire pour que la vision des gens et de l’industrie change !
Qui rêverais-tu d’interviewer ?
Lynne Ramsay et Tilda Swinton ou Sam Morton, pour commencer. D’une part parce que je suis amoureuse de ses films mais surtout parce qu’elle a une personnalité forte qui détonne dans le paysage testostéroné de la réalisation. C’est une vraie de Glasgow.