alma har'el présente

jellywolf

Ce conte hypnotique suit une jeune femme qui associe chaque odeur à une vision, à une image. Inspiré par CHANEL N°5 L'EAU et réalisé par Alma Har’el pour The Fifth Sense, ce film féminin et spirituel capture la beauté de l'adolescence.

Alma Har’el est une réalisatrice israélo-américaine dont les films oscillent entre deux univers : le réel et l’imaginaire. Sa vision singulière du documentaire l'a menée à réaliser un film où le parfum CHANEL N°5 L'EAU est un moyen d’éprouver et percevoir des visions. Son attrait pour les sens se dévoile à travers un usage éthéré de la lumière, une vision texturée de la musique et la danse. JellyWolf, son film réalisé pour The Fifth Sense, se déroule dans un monde où les fantasmes empiètent sur la réalité, où l’abstraction devient tangible, où les couleurs saturées subliment chaque espace, chaque close-up : une jeune femme entre dans un magasin étrange d'un centre commercial de Los Angeles – elle s’y rend pour vivre une expérience hallucinatoire dans un monde imaginaire empli de citrons, de roses et de bois brûlé : les notes clés de CHANEL N°5 L'EAU.

Dans ce film, le spectateur vit l’expérience du personnage principal, dont les visions, inspirées par CHANEL N°5 L'EAU, sont proches de la synesthésie… L’expérience que vit cette jeune femme dans le magasin est inspirée par la synesthésie. C’est le phénomène qui associe certaines odeurs à des images, une expérience où les sens se confondent. Les gens atteints de synesthésie vivent des expériences hors du commun : ils associent à des sons des couleurs ou peuvent sentir les images. Mon amie Dexter qui ne savait pas qu’elle en était atteinte m’a raconté qu’en assistant à un dîner, elle avait assimilé les termes « Maison Blanche » à un gâteau suspendu dans les airs. Une vision qui lui est restée en tête pendant plus d’une semaine. Quand je lui ai parlé du phénomène de synesthésie, tout est devenu clair pour elle. La synesthésie décuple les sens. Ils prennent le dessus sur la réalité. 

As-tu conçu cette histoire de manière instinctive ? J’aime penser en termes d’images et d’inconscient. J’aime contrôler mes rêves et c’est un de mes plus grands défis. Il faut penser et réagir vite, tant que le rêve est en cours, sans provoquer son réveil pour autant. On peut faire des choses incroyables. Les émotions deviennent des saveurs, des odeurs, des matières. On peut se transformer dans un rêve. Et tout paraît très réel. Mon plus grand défi, pour ce projet, était d’expliquer ma logique, la rendre cohérente dans le contexte de The Fifth Sense.

En quoi l’odorat influe sur ta vie personnelle ou ton processus créatif ? J’utilise beaucoup les odeurs pour me souvenir des choses ou pour accéder à d’autres niveaux de ma conscience. Le fait de sentir une odeur particulière à un moment précis peut nous faire accéder à une mémoire sensorielle et nous familiariser à d’autres états de conscience. Je connais des acteurs qui font ça. Certaines odeurs leur évoquent un souvenir heureux, un événement traumatique passé et avant de jouer, ils s’en imprègnent pour renouer avec les émotions qu’ils doivent incarner à l’écran.

L’accès aux sens est l’ultime route vers l’intuition, les émotions et ce qui nous tient vraiment à cœur.
Ma génération est une des plus intrigantes… Nous avons grandi dans un monde analogue qui s’est métamorphosé en un univers numérique. Nous avons mis nos sens et notre conscience numérique à profit. Les deux font partie intégrante de notre identité.

En tant que réalisatrice, as-tu l’impression d’appréhender les sens différemment, plus fortement ? Quand on réalise, on a besoin d’être en phase avec soi-même, donc avec ses sens : ils nous guident vers l’intuition, nous reconnectent avec nos émotions et ce qui nous tient réellement à cœur. Je peux aisément voir à quel moment les réalisateurs se reconnectent à leurs émotions ou à l’inverse, quand ils font ce qu’ils pensent être « cool » ou ce qu’ils pensent que le spectateur attend d’eux. C’est très facile de se laisser piéger. Les sens participent à ce renouement, cette reconnexion avec soi et son intégrité.

Y a-t-il un sens que tu mets plus à profit dans ton travail et ta création ? Tout dépend du projet. Récemment, j’ai tenté d’incorporer d’autres sens à mes créations en peignant quelques-unes de mes idées pour leur donner une réalité physique. Ma génération est une des plus intrigantes… Nous avons grandi dans un monde analogue qui s’est métamorphosé en un univers numérique, qu’on a découvert à nos 20 ans. Nous avons mis nos sens et notre conscience numérique à profit. Les deux font partie intégrante de notre identité. Les générations d’avant ont découvert le monde numérique très tard, les autres sont nées avec. Je chéris particulièrement ce passage d’un monde à l’autre, cette intersection et j’y accorde beaucoup d’importance. Je navigue entre ces deux univers : je suis à fond dans le digital mais mon cœur est profondément ancré dans le réel.

Tu n’as jamais été dans une école de cinéma – quels en ont été les avantages ? Le fait que je ne sois pas passée par une école de cinéma m’a permis de trouver ma voix sans que personne ne me la dicte. Je n’ai pas eu à dealer avec des professeurs qui n’avaient rien à faire de ma vie personnelle. J’ai dû abandonner mon service militaire en Israël pour mon « incapacité à recevoir des ordres » et je me vois comme une guerrière du cinéma. Ne pas être passée par la case école m’a permis de me laisser guider par mes émotions, sans me censurer. Je me tiens loin des gens qui pensent tout savoir. Je respecte la mémoire des autres, le travail de mes aînés et j’apprends d’eux sans jamais les considérer comme une seule et unique vérité.

Cette autonomie t’a-t-elle permis plus de liberté dans ton processus créatif ? Tout à fait. Mais mon processus créatif change en permanence. Surtout pour un projet comme celui-ci, qui est à la fois la somme de mes idées et de l’héritage de CHANEL. J’apprends de chaque projet et je m’en inspire pour les prochains. Je n’ai jamais su apprendre les choses dont je n’ai pas besoin. J’en avais honte plus jeune, parce que j’étais mauvaise à l’école et que je ratais tous mes examens. Je n’ai même pas obtenu mon diplôme à la fin du lycée. J’ai beaucoup de difficultés à apprendre mais au fil du temps, j’ai fini par apprivoiser mes limites et mes capacités.

Est-ce qu’Israël est une source d’inspiration pour toi ? Israël est une terre de contrastes. Un territoire qui m’a permis de considérer le collage comme le médium idéal pour créer et représenter la réalité.

C’est pour cette raison que les mots ont peu de place dans ton travail ? Oui. Pour moi les choses les plus importantes se passent de mots.

Le fait que je ne sois pas passée par une école de cinéma m’a permis de trouver ma voix sans que personne ne me la dicte.

Qu’est-ce qui guide tes intrigues ou tes idées ? J’ai migré aux États-Unis mais je suis née au Moyen-Orient. De fait, je me suis toujours intéressée aux histoires de ceux qui luttent et sont en quête de leur propre identité. Ceux qui cherchent à aimer et se faire aimer.

Je suis également fascinée par le masque que nous portons tous. C’est un symbole très fort pour moi. Notre visage, au fond, n'est qu'un masque, une façade. Je suis donc plus sensible aux histoires qui nous permettent de nous réconcilier avec le masque qu’on porte et, du même coup, avec notre identité et celle des autres. Il existe tellement d’histoires qui glorifient ce masque sans le questionner. Notre imaginaire collectif et nos rêves nous aident à le faire tomber : c’est pourquoi je tente en permanence d’inverser les perceptions qu’on a du réel et de l’esprit dans mes films.

Comment construis-tu les intrigues de tes films et ceux qui l’interprètent ? Le destin est un très bon directeur de casting. Pour mes deux films (Bombay Beach en 2011 et Love True en 2017), j’ai fait en sorte de me perdre pour trouver les personnes que je cherchais. J’ai besoin de m’imprégner de l’endroit avant d’aller à la rencontre des gens. Filmer provoque une sensation similaire à celle qu’on ressent lorsqu’on tombe amoureux – sauf que la caméra a ses propres lois de l’attraction.

Douce comme la jelly, sauvage comme une louve
L'heure est venue pour nous de scintiller dans la nuit

C’est quelque chose qui te dépasse en un sens ? Tout à fait. Le jour qui a suivi l’inauguration, je me suis rendue à la Women’s March. Je me suis perdue dans la foule, sans batterie. Il faisait très froid, je déambulais dans les rues et tentais de me frayer un chemin quand soudain, quelques femmes se sont mises à chanter devant moi… J’ai réussi à les filmer en ranimant mon téléphone. J’ai été transportée par le sens de leurs paroles : « Je ne peux pas rester dans le silence… ». J’ai pleuré et je me suis enfuie. Plus tard, dans la nuit, j’ai téléchargé la vidéo, de retour à Los Angeles. 3 jours plus tard la vidéo avait 3 000 000 de vues et les femmes du monde entier l’ont baptisée l’hymne de la Women’s March… Cet événement est un bon résumé de mon rapport aux films : je me perds, je trouve des gens qui me touchent et je tente de raconter leurs histoires pour qu’ils se connectent à ceux qui ont besoin de les entendre.

Victory, la chanteuse de rue qui chante dans mon nouveau film, LoveTrue, a été signée chez RocNation, le label de Jay-Z. Il l’avait entendue chanter dans mon film et je pense que sa musique transmet à beaucoup de monde un message qui fait sens

Si je ne me sens pas profondément attirée spirituellement et émotionnellement par les gens que je filme, je n’arrive à rien. Mon travail naît de l’amour et de la bienveillance. J’aurais aimé qu’il en soit autrement, parfois, mais c’est impossible.

On a dit de ton travail qu’il déjouait les codes du documentaire grâce à des flash-back, des détours oniriques et une direction d’acteurs innovante. Comment es-tu parvenue à retranscrire la réalité de cette manière ? Tout s’est fait instinctivement, sans penser à ce qui est cité plus haut. Sans autocensure. Quand j’ai lancé Bombay Beach [en 2011], le style documentaire rentrait dans une nouvelle ère. J’ai utilisé la danse chorégraphiée pour raconter trois histoires de gens qui viennent des quartiers les plus pauvres de Californie, dans les environs de la Salton Sea. Aucun n’était danseur professionnel. L’année d’avant, un film intitulé The Arbor, réalisé par Cleo Barnard, se servait des sons de synchronisation labiale pour retracer l’histoire d’une pièce d’Andrea Dunbar. Ces films témoignaient d’une plus grande liberté créatrice que l'on retrouve aujourd'hui dans le genre documentaire. À l’époque, on parlait beaucoup de la « légitimité » à raconter de vraies histoires. S’autoriser une liberté dans la forme en empruntant à la fiction était vu comme de la trahison. Sauf qu’on ne jugeait, alors, non pas de l’intégrité des réalisateurs mais de l’esthétique qu’ils véhiculaient. On a supposé à tort que leur prise de liberté, cette approche « sur le vif », prenait le pas sur la véracité de leur discours et de leurs intentions. C’est pourquoi ils ont choisi de les ranger dans la case du réalisme poétique.

Quelle a été ta réponse à ces accusations ? Je me suis dit : oublie cette histoire, je veux faire ce film et je vais le faire avec toute mon âme, ma raison et l'énergie de ceux qui l'incarneront. C’est au spectateur de juger de ce qu’il voit. Et son jugement ne peut pas se fonder uniquement sur la forme mais sur le sens du film. La vérité, c’est que ça a toujours été comme ça. La plupart des documentaires peuvent être trafiqués. Ce sont les intentions qui comptent aujourd’hui. Ce qui m’importe, c’est de raconter des histoires qui permettent au spectateur de renverser ses perceptions, ses convictions et ses doutes. Je veux également que mes personnages prennent le contrôle de leur intrigue.

Je voulais capturer le merveilleux dont recèle le parfum et saisir l’identité féminine sans la définir à travers un prisme masculin.
BEHIND THE SCENES

Episode 4

J’aime contrôler mes rêves et c’est un de mes plus grands défis. Il faut penser et réagir vite, tant que le rêve est en cours, sans provoquer son réveil.

La musique fait partie intégrante de ton processus filmique. Est-ce que tu as des chansons en tête lorsque tu filmes ? Ou choisis-tu les morceaux après avoir filmé ? Mes amis musiciens m’inspirent au quotidien donc j’essaie de les inclure à mon processus créatif du mieux que je peux. Parfois, je nourris une obsession pour un musicien que je ne connais même pas mais dont je suis persuadée qu’il est le seul à pouvoir faire la musique de mon film. Quand j’ai réalisé LoveTrue, j’ai cherché plus d’un an Flying Lotus avant de parvenir à le trouver. J’avais tout essayé et dès que je l'ai rencontré et qu'il a réalisé la musique de mon film, tout à fait sens.

Tes films naviguent entre l’ordinaire et l’extraordinaire. Quel est ton premier souvenir lié à la juxtaposition de ces deux dimensions ? J’avais 3 ans, je vivais à Tel Aviv et j’ai vu mon père danser sur la table du salon, nu dans les collants chair de ma mère. Il était très éméché, la musique était forte, ma mère et moi étions mortes de rire. Évidemment, la vie n'était pas toujours drôle mais des moments comme celui-ci, aussi bizarres et euphoriques qu’ils puissent paraître, amenaient de la magie et de la beauté dans mon quotidien. Quand on extrait de l’enfance la violence, il reste toujours une place pour la magie dans son cœur. À 12 ans, j’ai demandé à mon père de rejouer la scène et je l’ai immortalisé. C’est la première scène que j’ai filmée de ma vie.

Cette image est restée avec toi… Je crois oui étant donné que mon premier film faisait danser des hommes. Deux d’entre eux étaient bien éméchés. C’est la beauté thérapeutique de l’art… Je n’y avais jamais pensé avant ça.

Que souhaites-tu transmettre aux lecteurs et spectateurs de The fifth Sense qui vont découvrir ta vidéo ? Ce film est une lettre d’amour psychédélique aux femmes. Je voulais capturer le merveilleux dont recèle le parfum et saisir l’identité féminine libérée de ses peurs. Ce que j’aime le plus dans mon travail, c’est qu’il touche des gens qui sont physiquement loin de moi mais qui, sans me connaître ni me ressembler, se reconnaissent dans ma pensée. C’est une sensation inestimable. Rien ne me rend plus heureuse et sereine dans ma vie.