avec kathy grayson, l'art sera radical ou ne sera pas

La galeriste et fondatrice du bouillonnant The Hole à New York, célèbre l'irrévérence et la jeune-garde artistique. 

Il nous arrive de rencontrer des gens dont la vie est faite de grandes et belles choses – qui ont du sens et traverseront le temps. J'ai eu cette impression en croisant le regard de Kathy Grayson, curatrice et fondatrice de la galerie The Hole, à New York. Et je crois pouvoir dire sans trop me tromper qu’elle fait partie des gens dont on continuera de faire l’éloge, dans 50 ans. Du haut de ses 35 ans, Kathy n’a pas pu croiser le regard de Bianca Jagger, pénétrant le mythique Studio 54, chevauchant un cheval blanc. La galeriste est arrivée juste après l’explosion, à l’époque où New-York est redevenu le temple de la jeunesse créative. Son diplôme en poche, Kathy s’est tournée vers la galerie Jeffrey Deitch dont elle est devenue une des principales curatrices. Là-bas, elle a organisé des performances et des expositions mêlant artistes émergents et plus affirmés – toutes disciplines confondues – comme Jeff Koons, Bjork, Ryan McGinley, Dash Snow. Après la fermeture de la galerie, Kathy a ouvert et fondé The Hole, un grand espace dédié à la jeune-garde artistique sur Bowery Street. Pour toutes ces raisons, TFS a rencontré Kathy et discuté de ses multiples talents.

Kathy, Qui est Bert Le Poméranien, au juste ?

Bert est un être incroyable; présentement, il dort sous le bureau. Il est très doux et je le soupçonne d’être le responsable de l’affluence dans ma galerie : dès que les gens le voient, ils ont envie de rentrer. Il m’a aidé à vendre quelques pièces mais je pense qu’il donne surtout envie à tout le monde d’adopter un Loulou de Poméranie. Je l’ai trouvé dans un refuge et je passe mon temps à distribuer des stickers de cet endroit aux gens qui passent.

On parle tout le temps de votre expérience chez Jeffrey Deitch. ça vous agace que les gens restent bloqués sur ce passage de votre vie professionnelle ?

Après m’être retrouvée en une de la section Art du New York Times en 2012 et de l’article intitulé « Art ? But We’re Here To Party » (De l’art ? Mais c’était pas une fête ?, ndlt) j’ai du revoir ma programmation et me concentrer sur le message à transmettre à travers notre galerie. C’est pourquoi récemment, nous avons mis l’accent, non plus sur les performances et les soirées, mais sur la qualité de nos expositions et notre participation aux grandes foires artistiques. Notre réputation a beaucoup évolué ces dernières années, nous organisons de plus en plus d’exposition personnelles et d’autres, collectives et thématiques. La foule se presse aux vernissages que nous organisons mais elle est avant tout là pour voir de l’art.

Quand vous étiez à Deitch, vous avez plusieurs fois expliqué que les artistes que vous représentiez étaient des proches ou qu’ils devenaient, par la force des choses des amis. Votre vie privée et publique ne font qu’un ?

Le jour de mes 30 ans, je me suis sentie hyper reconnaissance envers la vie – j’avais survécu dignement à ma vingtaine. C’est à ce moment que j’ai ouvert ma propre galerie, avec mes quelques économies. – ça, c’était un putain de miracle, aussi. Les gens ont tendance às e perdre dans la drogue et j’aurais pu finir comme l’un d’entre eux. Sauf que j’ai eu de la chance et qu’aujourd’hui, je suis là, dans ma galerie aux côtés de Bert. Je vis l’art comme hier mais j’ai abandonné mes idées noires, après m’être confrontée à la mort des gens que j’aime. Vivre d’art n’est pas synonyme de vivre drogué. La créativité et l’addiction ne sont pas nécessairement compatibles. C’est un leurre. La drogue nous procure au premier abord un sentiment de profonde liberté mais avec le temps, elle devient essentielle, nécessaire et néfaste. La drogue emprisonne. Je ne sais pas ce que je serais devenue si je ne m’étais pas reprise en main – probablement rien – mais je suis heureuse de ce que je suis devenue aujourd’hui.  

J’ai lu votre livre à propos de l’exposition des artistes Dash Snow et Dan Colen, Nest. Cet ouvrage m’a beaucoup influencé. J’étais excitée, choquée, horrifiée mais aussi intriguée par leur performance. C’était une expérience très nihiliste à laquelle vous faisiez participer le monde, les artistes et vous-mêmes. Cette période vous manque ?

Dash Snow me manque. C’était un ange, une météorite. Le plus drôle, le plus indomptable et le plus intéressant des hommes. C’était un très bon ami, un confident. Avec lui, j’ai gouté à la liberté pour la première fois. Disons cela : il a eu beaucoup d’impact sur la vie des gens. Et il a changé le cours de la mienne, il a fait de moi une meilleure personne. 

Vous pensez qu’il existe encore des artistes aussi radicaux que Dash Snow et Dan Colen, aujourd’hui ?

De nombreux artistes vivent et font de l’art radical comme beaucoup de jeunes artistes continuent de le faire, de vivre en marge des diktats, des institutions. Et bien sûr, il y a plein d’artistes arrivistes qui se servent de cette irrévérence feinte pour vendre. Le monde de l’art est vaste, les artistes multiples ! Quelque soit l’âge ou la génération de l’artiste, la liberté et la radicalité demeurent des piliers de création. Dieu merci, ils existent ! Sinon, je n’aurais pas fait 15 expositions cette année.

Comment parvenez-vous à spotter les artistes qui feront l’art de demain ?

J’aime penser que ce qui m’attire est avant tout de l’ordre de l’intangible – c’est une certaine énergie qui me pousse à aller vers tel ou tel artiste. Mais attention, c’est pas un truc de hippie !  Je suis une irréductible punk, surqualifiée. Je pourrais consacrer des livres et des livres à cette épineuse question du « bon goût » dans l’art. Notre monde post-moderne, les gens parlent d’art comme on parle d’intérêt. Ce mot revient tout le temps : « Cette artiste est-elle digne d’intérêt, sa sculpture est-elle digne d’intérêt ? » etc. Je préfère me voir comme une avant-gardiste en pensant plutôt : « Est-ce urgent, nécessaire, actuel, pourquoi ? » 

De cette manière, j’espère que chaque pièce, chaque œuvre témoigne de ce que c’est d’être et de prendre part au monde en 2016, qui qu’on soit et d’où qu’on vienne. L’humanité abolit les frontières et les échelles. Mon ancien patron avait l’habitude de retranscrire ces émotions avec un adjectif précis, « Frais ». Est-ce un truc frais ou un résidu des années 1970/80 ? Si Jeffrey disait de votre art qu’il était « frais », c’était un gage de qualité inestimable. Je pense la même chose, dans un sens : je comprends parfaitement ce qu’il entendait par « frais ». 

Quelle différence faite-vous entre la Deitch Gallery et votre espace à vous, The Hole ?

Jeffrey est un petit génie. Je vois bien qu’il est incompris par certains mais moi, je le sais et l’ai toujours soutenu, des années durant. Nous partageons la même philosophie, le même goût pour les choses qui nous animent au quotidien. J’ai énormément appris à ses côtés et j’aime croire qu’il a tiré quelque chose de moi aussi. Mais la Deitch gallery n’a rien à voir avec ma galerie. Je ne peux pas rivaliser. Il organise des expositions de Keith Haring à plusieurs millions de dollars, a orchestré une performance de Vanessa Beecroft sur un bateau, une sculpture interactive de Mariko Mori, une performance où Josh Smith peignait directement sur les murs… Je ne peux pas me permettre le dixième de tout ça. Ma galerie est un petit business avec peu d’argent – tout juste de quoi rénover l’espace et de financer notre première exposition. J’ai créé cette galerie dans un espace incroyable, avec une toute petite équipe et surtout beaucoup d’ambition. J’espère pouvoir me laisser une petite décennie pour grandir et m’épanouir avec elle à travers de plus grandes expositions, d’immenses installations que Jeffrey parvient à rassembler aujourd’hui.

The Hole est votre lieu, il reflète votre vision du monde et de l’art. Qu’est-ce qui vous inspire en ce moment ? 

Je suis très heureuse d’être parvenue à monter des expositions cet automne avec deux artistes que j’ai rencontrés en 2003 : Ben Jones, de Paper Rad et Misaki Kawai. Je connais ces gars depuis plus de 10 ans et chacun à sa manière m’a influencé, nourri – artistiquement et personnellement. Je suis très flattée de pouvoir les aider à grandir et s’épanouir. En ce moment, je me prépare à inviter quelques gangsters – des habitués de The Hole, tels que Terence Koh, Rosson ou Aurel et tous mes vieux potes. La plupart sont déjà exposés dans de prestigieuses galeries, j’en suis très fière.  


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