de beyoncé aux spice girls, ce que la pop doit aux riot grrrl

Sonia Gonzalez rendait hommage aux pionnières du mouvement en 2015, à travers son documentaire « riot grrrl, quand les filles ont pris le pouvoir ». Alors que la réalisatrice s'apprête à sortir un documentaire sur le féminisme pop de notre génération, retour sur l’influence et l’héritage d’une contre-culture exclusivement féminine et féministe qui a ouvert la voie au Girl Power – le vrai.

Bikini Kill, Bang ! ou encore The Butchies – pour faire la révolution, les riot grrrl ont imaginé des noms de scène aux intonations martiales. Et il le fallait, quand on sait le combat que ces filles ont mené. Lancé à la fin des années 1980 par un groupe d’étudiantes de l’université d’Olympia, aux Etats-Unis, ce mouvement punk exclusivement féminin a bâti les fondations du Girl Power et influencé les générations de féministes actuelles. Pour autant, leur histoire reste méconnue, leur importance sous-estimée. Journaliste de formation passée par le grunge et la scène rock bordelaise des nineties, la réalisatrice Sonia Gonzalez rendait hommage aux pionnières du mouvement dans son documentaire «riot grrrl, quand les filles ont pris le pouvoir » sorti en 2015. L’occasion de retracer l’ascension de cette contre-culture, d’en saisir l’impact et la force avant que les médias ne s’en soient emparés. Alors que la réalisatrice s’apprête à sortir un documentaire sur le féminisme pop de notre génération, retour sur l’influence et l’héritage d’une contre-culture exclusivement féminine et féministe qui a ouvert la voie au Girl Power – le vrai.

Le féminisme comme matière documentaire t’a-t-il toujours intéressé ? Comment t’est venue l’idée de réaliser un documentaire sur les riot grrrls ?

Je me suis toujours considérée comme féministe et faire un film sur les riot grrls était l’occasion rêvée de partager ces valeurs auxquelles je crois, bien que ma première approche avec cette contre-culture se soit faite par la musique. J’ai grandi avec le grunge et j’avais 13 ans lorsque Kurt Cobain s’est suicidé. J’écoutais essentiellement du rock alternatif à cette époque – surtout du nord-ouest pacifique, d’où sont originaires les fondatrices des riot. Je connaissais du coup leurs paroles mais je n’ai compris que bien plus tard, anglais aidant, l’ampleur de leurs messages et de leurs revendications.

Quelles étaient les revendications des riot grrrls ? Que défendaient-elles exactement ?

Leur démarche était punk. Dans leur tête, il fallait qu’elles montent sur scène et s’imposent. Qu’elles sachent chanter ou jouer d’un instrument importait assez peu au fond. L’important pour elles était de s’emparer d’un genre et d’une prérogative essentiellement masculine. J’avais très envie d’en parler car il s‘agit d’une contre-culture féminine mais surtout, d’une contre-culture jeune. Les filles qui se revendiquaient de ce mouvement avaient tout juste 20 ans lorsqu’elles l’ont créé. En parallèle de ma conscience féministe, j’ai toujours été fascinée par les contre-cultures impulsées par la jeunesse. Les riot grrrls étaient des jeunes femmes avec un message politique à transmettre. 20 ans, c’est l’âge des premiers engagements, l’âge où l’on se forge une identité politique. J’ai souhaité retranscrire cet engagement et cette fougue à travers mon documentaire. Les féministes parlent toujours des femmes mais elles ont rarement questionné la place des filles dans cette histoire. Pour les Anglo-saxons, c’est une question d’autant plus importante que la langue fait la distinction entre « girl » et « woman », plus évidente qu’en français. Les riot grrrls se sont questionnées sur l’être fille et le devenir femme, avec ce qu’ils comportent de vulnérabilité, de sensibilité et de force.

C’est une contre-culture dont on a eu peu d’écho médiatique. Pourquoi, d’après toi ?

Les riot grrrls avaient un rapport aux médias très particulier. Ensemble, elles ont orchestré un « media black out ». À ses débuts, la contre-culture féminine a bien entendu fasciné les médias : ses membres étaient jeunes, jolies et elles avaient une vraie présence sur scène. C’est donc assez naturellement que les médias s’en sont emparés et ont fait des riot grrrls des icônes pop, dont ils ont édulcoré le message et gommé la revendication. Aujourd’hui, on est habitués à ce genre de phénomène de réappropriation. Mais dans les années 1990, c’était d’autant plus rare que c’en était flagrant. Il faut aussi se rappeler qu’à cette époque, Kurt Cobain venait de se suicider. Et comme on le sait, son succès et sa médiatisation grandissants ont en partie causé sa perte. Le début des années 1990 est donc un moment charnière pour la musique et les musciens, une époque où le phénomène de commodification (la marchandisation d’une culture ou d’un concept) s’est entiché des riot grrrls. D’où leur volonté de couper tout contact avec les médias – ce qu’elles ont fait, violemment. C’était un geste de revendication fort, qui s’est bien évidemment retourné contre elles.

De quelle façon les médias se sont retournés contre les riot grrrls ?

En les décrédibilisant. En réduisant leurs actes et leur musique à une tendance, arguant qu’elles recherchaient la célébrité avant tout. Comme la quasi-totalité des riot grrrls refusait de répondre aux questions des journalistes, ces derniers se sont tournés vers Courtney Love qui, rappelons-le, était tout sauf une riot grrrl. Pour la petite histoire, Courtney Love s’était permis de gifler Kathleen Hanna, chanteuse des Bikini Hill en backstage, à l’occasion d’un concert de Sonic Youth. Il se trouve que Kathleen Hanna était la meilleure amie de Kurt, elle détestait Courtney Love qu’elle pensait responsable de la descente aux enfers du chanteur de Nirvana. Il ne faut pas oublier non plus qu’à cette époque, les riot sont essentiellement Straight Edge. La drogue et l’alcool n’ont pas droit de cité chez elles.

Bref, ce média black-out est une des raisons pour lesquelles on a que peu parlé des riot grrrls. L’autre raison, c’est bien sûr l’arrivée en grande pompe des Spice Girls dans le paysage musical et du slogan lucratif qui les a fait connaître à tous : le Girl Power. Les Spice Girls sont arrivées après les riot, avec cette idée que le Girl Power était un concept bankable. C’est à ce moment-là qu’un producteur s’en est aperçu et que le concept est devenu sexy. Parce que pour les riot grrrls, pionnières en la matière, le Girl Power était tout sauf un slogan publicitaire. C’était une revendication politique. Les vieux fanzines que j’ai découverts, lors de mes recherches prouvent à quel point l’engagement politique et la lutte contre le sexisme étaient les piliers fondateurs de cette contre-culture.  J’ai passé des jours et des jours entre les rayons des bibliothèques à feuilleter, humer, parcourir les pages des fanzines à l’instar de Girl Germs, lettres et documents qui attestent de la force subversive de ce mouvement.

Que penses-tu du féminisme actuel et de ses principales actrices ?

Je suis sur le point de réaliser un film sur le féminisme dit « pop », un projet qui me tient à cœur et que je suis en train de concrétiser. Je me demande sincèrement si nous ne sommes pas, d’une certaine façon, en train d’édulcorer le féminisme. Ben sûr, j’aimerais croire que les icônes pop participent à une meilleure compréhension et une valorisarion de la cause – Beyoncé, à titre d’exemple, a sans doute permis à des filles qui ne s’en revendiquaient pas, d’épouser la cause féministe. Mais la récupération n’est jamais loin et risque de passer pour une tendance. Ce qui est le propre de la mode. Le féminisme ne peut pas être un phénomène de mode.

J’ai rencontré Lauren Mayberry, leadeuse du groupe anglais Chvrches, une femme qui m’a beaucoup inspirée. Elle, a toujours dit qu’être féministe, c’était simplement vouloir l’égalité homme femme. Point barre. Lorsqu’on lisse le terme « féminisme » en le recouvrant d’un vernis pop, on finit par s’attirer les foudres des réactionnaires qui choisissent de se rebeller contre un mouvement de masse. Je pense qu’il est important de parler de sexisme, de féminisme, de harcèlement, d’injustices. Pas plus tard que la semaine dernière, j’étais sur un tournage et le réalisateur présent sur place me caressait l’épaule toutes les deux minutes comme si j’étais un petit animal blessé. Dans ces moments-là, qui nous arrivent à toutes un jour ou l’autre, on a envie d’exulter, de crier, bref, de se révolter contre les élans patriarcaux qui subsistent. 

D’un autre côté, on a du mal à trouver des modèles féministes qui ne soient ni radicaux (les Femen) ni pop (Beyoncé).

Quand j’ai présenté à un master en documentaire mon film sur les riot grrrl, au moment du débat avec les étudiants, une fille m’a demandé pourquoi je n’avais pas parlé de l’ascension du black feminism sur les réseaux sociaux. Je suis issue d’une génération sacrifiée, qui a grandi avec l’ADSL, les téléchargements qui n’en finissent pas, bref le pré-web. Je voulais faire un film sur l’expression du féminisme à travers la musique mais je n’avais pas du tout pensé à ce qui se passait actuellement sur la toile. Et c’est vrai qu’il existe, aujourd’hui, une appropriation personnelle de la cause féministe qui est importante voire primordiale. Cette réappropriation individuelle tranche avec l’effet de mode et sauvera sans doute le féminisme de la réappropriation marketing.

La subversion existe-t-elle encore dans la musique aujourd’hui, d’après toi ?

Je pense que oui. Quand j’ai vu, plus tôt l’année dernière, le fils de Mclaren mettre le feu à son héritage punk sur un bateau, je me suis rendu compte que la vraie subversion, pour cette génération était peut-être là, dans ce geste iconoclaste, décadent. Un geste qui s‘oppose à l’institutionnalisation des contre-cultures. Les contre-cultures sont élitistes. Elles le sont en ce qu’elles se transmettent de bouche-à-oreille, dans la discrétion et le secret le plus total.  C’est ce qui la rend insaisissable et du même coup, si désirable.  

                                         Crédits : Photographie via Greg Neate

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