l'artiste shae detar construit des univers idylliques et parallèles

Idyllique, c’est un monde utopique, jonché d’herbes rouges et ponctué de falaises roses que l'artiste s’attache à dépeindre.

Shae Acopian Detar est une artiste autodidacte new-yorkaise dont les images « hypnogogiques » (hypnotiques et pédagogiques) vous attireront vers un autre monde – son monde à elle, fait de rêves. Inspirée par la renaissance, l’impressionnisme, le post-impressionnisme, la musique et la littérature, Shae mêle photographie et peinture. Elle crée des images imprégnées de couleurs qui rappellent les longues pages descriptives des romans de Charlotte Bronte ou Emily Dickinson, deux de ses plus fiers mentors. À un détail près : la tragédie n’y a pas droit de cité. Idyllique, c’est un monde utopique, jonché d’herbes rouges et ponctué de falaises roses que Shae s’attache à dépeindre.

Le fait de mélanger la peinture et la photographie a toujours été instinctif chez toi ?

Cela me paraît très naturel, oui, l’un et l’autre font travailler l’imagination… mais l’un des deux implique plus de préparation que l’autre. Je dois trouver des modèles, des lieux, développer des pellicules et dépenser beaucoup d’argent pour imprimer les photos. Lorsque je peins, je n’ai besoin que de peinture, de térébenthine, de pinceaux, d’une toile et de mon imagination. Oh, de café et de musique aussi. ;)

En ce moment je passe de plus en plus de temps à peindre sur des toiles vierges. Mais j’ai passé les 7 dernières années à travailler sur des techniques mixtes de photographie. Je prenais une photographie imprimée (1,5x2m) comme support principal, puis je peignais par-dessus. Peindre sur des photographies s’est avéré être une porte d’entrée vers la peinture, désormais je suis obsédée par ça. J’adore prendre des photos et les transformer, me pousser à voir quelque chose au-delà de la simple image imprimée que j’ai en face de moi. J’ai beaucoup à dire à travers ma peinture aujourd’hui, des choses que je ne peux pas dire de la même façon en utilisant les techniques mixtes de photographies… Donc je me concentre principalement sur la peinture en ce moment.

À quel moment as-tu décidé d’en faire ta vie ?

J’ai commencé à peindre sur des photos et faire des collages quand j’avais 12 ans dans mon journal intime. Je n’ai jamais pensé être une artiste, je voulais devenir actrice. J’ai grandi en faisant de la comédie musicale, des publicités et des camps de vacances d’initiation au théâtre tous les étés pour essayer d’être l’une des meilleures actrices de New York. Mais en même temps j’étais très créative à travers mon journal, c’était amusant et instinctif.

Comment se déroule une journée type en studio ? 

La journée type commence avec mon chien Waylon (un Shar Pei qui avait été abandonné), on prend le café et on va au parc pour sa première balade de la journée. Ensuite, si j’ai une commande, je vais au studio, comme c’est le cas aujourd’hui… et je peins une photo de grande taille (entre 1,5 et 2 mètres en général) en écoutant des biographies à la radio, des documentaires, des podcasts ou de la musique. Je fais une pause café à midi et puis je retourne à ma peinture. Je reste souvent dans mon studio jusque dans la nuit. Puis je lis (en ce moment c’est la biographie de John Keats, je viens de finir celle de Charlotte Bronte) ou je regarde un film chez moi ou je sors avec des amis.

Et les jours de shooting ?

Les jours de shooting sont généralement très sympas et calmes, mais ils nécessitent plus de préparation. Je cherche généralement des filles sur Instagram et lorsque j’en ai trouvé assez, je prends un van ou un SUV pour nous conduire vers des lieux magnifiques. On écoute de la musique et on discute sur la route, on apprend à se connaître. Lorsqu’on arrive à destination, je prends beaucoup de photos… J’improvise, j’essaye des choses. Puis lorsqu’on finit, si on a le temps, on dîne ensemble avant de rentrer en ville. Si mon travail est commercial, comme pour la couverture de NY Magazine ou ce genre de choses, j’essaye d’être plus sérieuse et directive. Il faut que je prenne mon rôle de leader, parce que tout le monde compte sur moi.

Lorsque tu travailles en studio, y’a-t-il quelque chose qui te permet d’être en phase avec tes sens ?

La musique. Cela influence beaucoup ma peinture. Parfois je suis d’humeur à écouter du hip-hop, d’autres fois c’est la musique classique, je ne peux qu’écouter des musiques de films, du Bach ou du Mozart… Je peux aussi être d’humeur à écouter des trucs des années 1960 ou 1970, j’écoute les Beach Boys en boucle, ou Bjork, Radiohead ou Aphex Twin. Ça varie beaucoup mais la musique a définitivement un impact sur mon travail. 

J’aime beaucoup le fait que Frida Kahlo n’ait pas cherché à devenir connue, elle peignait parce qu’elle en avait besoin

La ville de New-York a-t-elle une influence sur ton travail ?

J’ai grandi ici et en Pennsylvanie, j’ai donc un grand amour pour la ville et les campagnes environnantes. Je m’inspire beaucoup de la nature. New-York restera à jamais ma maison, surtout parce que la ville m’est très familière et que ma famille vit ici. J’aime cette énergie et ce rythme effréné, les gens qui courent partout pour faire leurs trucs et le côté artistique de la ville ou encore les petits cafés, il y a tellement de cultures différentes qui se mélangent ici. Cette ville est tellement belle et les nombreuses origines et ethnies représentées m’inspirent beaucoup.

Quelles sont tes icônes féminines ?

Jane Austen, Frida Kahlo, Georgia O’Keefe, Emily Dickinson, Charlotte Bronte. Chacune est très différente, mais elles avaient toutes une passion l'art, elles vivaient pour cela. Charlotte Bronte, Jane Austen et Emily Dickinson ont été assez courageuses pour écrire des nouvelles et des poésies à un moment où cela était très difficile pour les femmes. Elles ne pouvaient pas penser, créer, avoir leurs opinions, elles étaient mises de côté. Elles étaient ridiculisées et jugées, pas seulement par les hommes mais aussi par les autres femmes. Partager leurs travaux nécessitait une grande force et une grande confiance, elles sont allées au-delà de leurs peurs, elles croyaient en elles-mêmes et en leurs intuitions plus qu’en la pression que les gens leur mettaient sur les épaules. J’ai énormément d’estime pour elles et je suis émue et inspirée par leur travail et leur courage.

Frida Kahlo et Georgia O’Keefe sont toutes aussi importantes pour moi mais leur monde était très différent, en tant que femme elles étaient plus libres de s’exprimer, elles ont vécu à une époque où les femmes étaient moins discriminées qu’au 19ème siècle. J’aime beaucoup le fait que Frida Kahlo n’ait pas cherché à devenir connue, elle peignait parce qu’elle en avait besoin, pour sortir de la douleur perpétuelle dans laquelle elle vivait, et oublier qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant à cause de ses blessures. Un jour, elle a dit : « Je peins ma propre réalité. La seule chose que je sais c’est que je peins parce que j’en ai besoin, et je peins tout ce qui me passe par la tête sans rien considérer d’autre. » Son art est honnête et pur, sa vie et son travail me touchent énormément. Georgia O’Keefe lui ressemblait un peu car elle n’avait pas besoin d’une énorme reconnaissance, contrairement à la plupart des artistes modernes. 

« Si tu arrives a aimer quelqu’un du plus profond de ton cœur, alors tu auras réussi. »

Comme tu l’as dit, tu as continué ton art avec passion ces cinq dernières années, qu’est-ce que tu en retires aujourd’hui et que peux-tu nous transmettre ?

Je dirais à toutes les personnes – âgées ou non – qui entrent dans le monde de l’art (quelque soit le type d’art) et qui poursuivent leurs rêves, de laisser cette flamme vivre en eux, de travailler dur et de ne pas avoir peur d’échouer. L’échec m’apprend toujours beaucoup et en l’acceptant il me rend plus forte. J’évoquerais aussi l’importance de vivre des moments de peur. En tant qu’artiste on vit souvent dans la peur, c’est inévitable… Être artiste nécessite de se lancer dans l’inconnu, laisser vivre son âme et oser imaginer. Il faut être courageux. Il faut s’attendre à être jugé, parfois incompris, mais il ne faut pas se laisser abattre, continuer de créer et filtrer ce qui peut nuire à la création, ne garder que ce qui pousse à l’imagination. Si ta peur t'emr^che de faire quelque chose, tu n'apprendras pas. 

C.S. Lewis disait, et je le dis souvent aux gens, « Tu n’es jamais trop vieux pour avoir de nouveaux objectifs et de nouveaux rêves. » N’hésitez pas à vous lancer dans l’art à cause de votre âge ! Grandma Moses était une artiste qui a commencé à peindre à 78 ans et ses peintures se vendaient plusieurs millions, George Eliot a publié son premier roman alors qu’elle avait plus de 40 ans, Mary Delany avait 71 ans lorsqu’elle a commencé sa carrière dans l’art et son travail est désormais au British Museum. Et la liste est encore longue.

Une dernière chose, ne laissez jamais l’idée du « succès » vous influencer. Le succès est relatif. Savez-vous combien d’artistes exceptionnels sont morts dans la solitude et la pauvreté ? Tellement. Leur travail a parfois été découvert plusieurs années voire plusieurs siècles plus tard. La question n’est pas de savoir à quel point vous « réussissez » durant votre vie sur terre. Je pense qu’il est plus important d’apprécier sa passion, son travail, et le faire parce qu’on en a envie. Etre sur cette terre et être gentil avec les gens, les animaux et la planète, voilà ce qu’est le succès ! J’aime beaucoup ce que Maya Angelou dit à ce propos : « Si tu arrives a aimer quelqu’un du plus profond de ton cœur, alors tu auras réussi. »

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