isabel lewis, l'artiste qui a recréé l'atmosphère du berghain

On se rend communément dans l'un des clubs les plus cool de Berlin pour la musique, la danse, l'ivresse. L'artiste Isabel Lewis, elle, y est allée avec une autre idée en tête : sentir le Berghain. 

« Ce soir-là, je m’y suis rendue avec la ferme intention de ne pas boire d’alcool, confie-t-elle. Il fallait que je sois apte à pouvoir sentir les choses. Et croyez-le ou non, j’ai passé la meilleure soirée de ma vie au Berghain ce soir-là. J’ai pu aspiré l’air de 30 ans de soirée, de fumée de cigarettes, d’alcool renversé au sol, senti l’odeur des milliers de corps transpirants, de la laque et du parfum bon marché. »

C'est Isabel Lewis, artiste, danseuse et Dj basée à Berlin à qui l’on doit les Occasions, qui parle. À mi-chemin entre la performance, l’œuvre d’art et le parcours sensoriel, les Occasions pensées par l’artiste se déroulent dans les galeries ou les prestigieux lieux culturels du monde. Elle a été accueillie par la Frieze Art Fair, le Palais de Tokyo, la Dia Art Foundation et sera en résidence à la Tate en mars prochain. Isabel Lewis y organisera une soirée placée sous le signe de l’interaction et du déploiement des sens : l’ouïe, la vue, le gout, le toucher et l’odorat.

Si Lewis emploie l’odorat, c’est parce qu’elle souhaite permettre à son public de ressentir et se concentrer sur l’instant présent. Elle insiste pour que ses performances soient vues, entendues, goûtées, senties et touchées. Bref, elle veut que tout le monde se sente engagé et que chacun prenne part à ce qui se déroule sous ses yeux. « Les odeurs sont évocatrices, explique-t-elle. Elles nous renvoient à notre propre perception sensorielle et nous reconnectent à notre corps. » Pour Lewis, l’odeur est une arme puissante : « L’odorat agit directement sur notre inconscient, plus vite et plus fort que n’importe quel autre sens. Il nous influence au quotidien, sans qu’on s’en aperçoive, » ajoute-t-elle. 

Pour chaque Occasion, Isabel Lewis s’associe à la chimiste et artiste norvégienne Sissel Tolaas pour créer un nouvel ordre olfactif. « Elle possède un laboratoire à Berlin incroyable, avec des étagères pleines de petites fioles. Chacune renferme une variété de molécules odorantes », explique Lewis.

Avant que le duo ne développe les notes olfactives qui ponctuent chacune des occasions d’Isabel Lewis, beaucoup de recherches et d’essais ont été nécessaires. « Je rejoignais Sissel dans son labo et on était parties, raconte Lewis. Donc je m’assurais de manger avant d’y aller, parce que je savais qu’elle allait me faire sentir 8 parfums différents pour chacune de mes idées. Je humais quelque chose et énumérais les idées qui me venaient en tête. Ensuite, venait l’épineux moment du dosage : plus de ça, moins de ça… Et on ne s’arrêtait que lorsqu’on était pleinement satisfaites du résultat. » Les idées que Lewis tente d’emprisonner, de saisir, naviguent entre concret et abstraction. Elles peuvent, par exemple, prendre la forme d’une question : quelle est la définition d’une vie plaisante au 21ème siècle, quelle importance accorde-t-on à l’intellectualisation et aux corps dans nos sociétés contemporaines et occidentales… Ces idées complexes et philosophiques sont difficilement transposables. Mais elles ont été leur point de départ : « Si l’intellectualisation était une odeur, que sentirait-elle ? s’est questionné Lewis.  On a tenté de retrouver l’odeur des bibliothèques, des labos de science, des hôpitaux, des lieux où l’on fait marcher ses méninges. » La recette qu’elles ont mises au point « est une odeur aérienne, avec quelques effluves métalliques qui offrent une sensation d’apaisement, explique-t-elle. Elle évoque la fraicheur, naturelle – quelques personnes y ont retrouvé l’odeur des agrumes ou celle du désinfectant parfum melon. » Pas du genre à devenir un best-seller au rayon parfumerie, admet Lewis, qui ne cache pas que malgré tout, ce parfum remporte une certaine popularité. 

Plus difficile encore peut-être, la seconde mission que le duo s’est confié était de retranscrire de manière olfactive l’expression du corps. C’est là qu’est venue l’idée de capturer l’air du Berghain. Plus que l’odeur d’un club, Lewis voulait retranscrire la subtilité qui s’en dégage. « C’est l’odeur des phéromones », affirme-t-elle quand on lui demande à quoi le corps fait référence olfactivement.  C’est une odeur qui divise ceux qui la sentent – les femmes sont nombreuses à l’apprécier, les hommes beaucoup moins. « La note la plus forte est sans doute la transpiration masculine, confie Lewis. D’autres notes de parfum cohabitent : l’alcool, l’eau de Cologne, le tabac froid. C’est un parfum terreux, lourd, pénétrant. On ne cherche pas à faire des parfums qui plaisent à tout le monde ! plaisante-t-elle. 

Le duo préfère susciter des associations d’idées sensorielles. « On a beaucoup parlé de la présence des odeurs. Elles jouent un rôle essentiel, aussi important que les autres éléments qui entrent en jeu à chaque nouvelle Occasion : la musique, les paroles, la danse, la composition visuelle. » Les odeurs ont beau être insaisissables et éphémères, l’emprise qu’elle ont sur nous peut durer une vie. « Parfois, je reçois des messages de personnes qui ont ressorti la veste qu’ils portaient des mois auparavant, lors d’une de mes Occasions, et me confient s’être tout remémoré de cette journée rien qu’en la sentant, » se réjouit Lewis. Et nous aussi. 

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