es devlin's

mirror maze

Après son installation immersive dans le quartier de Peckham à Londres, Es Devlin, scénographe, nous invite à explorer la puissance de nos sens et de l'odorat à travers son oeuvre interactive mêlant vidéo et sculpture, Mirror Maze.

Es Devlin scénographie les shows des plus grandes pop stars du monde.

Son nom ne vous dit probablement rien et pourtant, vous connaissez tous son travail. L'énorme toboggan en forme de langue qu'arpentait Miley Cyrus sur scène ? C'est Es qui l'a imaginé. Le ciel étoilé, scintillant sur la scène des Brits Awards lors du live d'Adele pour 'When We Were Young'? C'est encore Es. Tout comme la piscine géante dans laquelle Beyoncé se jetait en entonnant le refrain de 'Formation' à l'occasion des BET Awards, la cérémonie d'ouverture des J.O de Rio cette année, la scénographie de la pièce Hamlet au Barbican à Londres et celle de chaque concert de Kanye depuis 8 ans.

J'ai réfléchi à l'odorat comme un élément moteur d'introspection, physique et sensorielle.

La scénographe anglaise excelle dans l'art de créer des univers singuliers pour les plus grandes pop-stars de la planète – univers qu'elle définit comme des "sculptures cinétiques maillées de lumière" adaptées à l'opéra, la danse, le cinéma, le théâtre, les podiums des défilés ou les concerts. The Fifth Sense a proposé à Es Devlin de créer sa toute première installation artistique personnelle. Elle s’est confiée à nous.

L'année dernière, alors que j'étais en train de concevoir un monolithe géant en LED pour la tournée mondiale de Beyoncé "Formation", l'idée de créer de grands espaces sculpturaux m'a petit à petit envahi. Au début de l'année 2016, je buvais un thé entre deux répétitions finales aux côtés d'Adele dans une arène de Belfast.

Soudain, le concept de cette installation qui allait naitre s'est dessiné dans ma tête. À l'époque, je passais le plus clair de mon temps à voguer de backstages en coulisses, de loges en salles de répétition, de couloirs en couloirs. Tous ces aller-retour m'ont inspiré la forme d’un labyrinthe, intrigante et sinueuse, fascinante et répétitive ainsi qu'un lieu où l'on prendrait gout à se perdre. J'ai réfléchi au sens de l'odorat, à l'odeur comme élément moteur d’une introspection sensorielle – à travers le temps.

C'est ainsi que je me suis remémorée les senteurs de mon enfance – l'odeur du goudron encore brûlant, des inhalateurs Vicks, de la sève du sapin de Noël, des couloirs de l'école fraichement nettoyés, de l'encre, du chlore, de la crème solaire, du lait maternel, de l'anti-moustique, du jasmin indien mélangé à l'odeur d'un plat qui se prépare et dont le fumet déborde sur la rue, du diesel – je les ai considérées comme des marqueurs temporels. Je voulais que l'installation retranscrive ce voyage dans le temps et l'espace.

L'odeur et les émotions qu'elle génère sont subjectives et le reflet de l'histoire de chacun(e).

J'ai eu l'idée de faire un film qui mettrait en scène un miroir devenant un labyrinthe, dans lequel on s'enfoncerait pour mieux s'y perdre. La seule chose qui me tracassait, c'était de parvenir à retranscrire avec le plus de justesse la sensation qui nous prend lorsqu'on se remémore une odeur qui nous fait voyager à travers le temps. L'odeur et les émotions qu'elle génère sont subjectives et le reflet de l'histoire de chacun et chacune – comment, dès lors, parvenir à toucher le public à travers une seule et même odeur ?

Un soir, à Belfast, tandis que j'ouvrais le placard de ma chambre d'hôtel, je me suis retrouvée 35 ans plus tôt, dans mon corps et ma tête de petite fille de 9 ans et dans le grenier d'une maison dans le Sud du Pays de Galle. L'odeur du bois de cèdre, du linge et des boules de naphtaline anti-mites m'a submergé et fait voyager dans le temps, soudain. C'était cette sensation précise que je voulais retranscrire à travers mon installation – celle de se laisser tomber.

Nous vivons tous l'expérience de la gravité au quotidien ... Nous tombons au quotidien : amoureux, sous le charme ou de sommeil

Nous vivons et ressentons tous la pesanteur terrestre. "Tomber" est une expérience tellement universelle que les hommes en ont fait le terme clé du champ lexical de la soumission dans de nombreuses langues : ne dit-on pas que l’on tombe malade, amoureux ou de sommeil ? Nos premières années sur terre sont rythmées par les chutes et les re-chutes quotidiennes alors quoi ? A-t-on réellement besoin de se remémorer cette sensation de tomber ? Peut-être, oui.

Car en y repensant, le fait de se laisser tomber devient chaque jour plus compliqué : lâcher prise est devenu presque impossible dans une société où le contrôle de soi est maître mot.

C’est pourquoi j’ai choisi de créer une installation monumentale où chacun est libre d’y pénétrer, d’expérimenter un des aspects de mon quotidien, une réinterprétation de l’univers éclaté, labyrinthique que je côtoie et qui évoque irrémédiablement, la sensation de se laisser tomber dans le vide ou de retomber en enfance.

En coulisses

Épisode 1

Je travaille et conçois, depuis quinze ans, dans mon atelier de Peckham, au Sud de Londres. Comme beaucoup de gens qui y habitent, je suis fascinée par son hétérogénéité, sa scène créative qui émerge, particulièrement autour de Copeland Parl et Bussey Building – il existe, là-bas, un bâtiment à l’architecture industrielle dont la grandeur et la forme m’ont permis de contenir la pièce monumentale que j’avais en tête.

Alors que j’effectuais mes recherches pour ce projet, j’ai rencontré Olivier Polge, le nez de CHANEL, et l’homme qui se cache derrière chaque nouveau parfum de la maison. Il a créé, d‘après notre conversation, un parfum éphémère spécialement conçu pour Mirror Maze.

Lorsque l’installation sera démontée, le parfum disparaitra et ne sera plus qu’un souvenir, immatériel et entêtant, dans la mémoire de ceux qui l’ont un jour éprouvé.

Lorsque l’installation sera démontée, le parfum disparaitra et ne sera plus qu’un souvenir, immatériel et entêtant, dans la mémoire de ceux qui l’ont un jour éprouvé.